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Arsinee Khanjian (c) D.R. ARSINEE KHANJIAN
Actrice

Entretien réalisé
le 26 juin 2002 à Paris
Par Bernard PAYEN


Arsinée Khanjian, ou "la comédienne fétiche d'Atom Egoyan", comme on dit peut-être un peu abruptement dans les gazettes de cinéma. Assistante photographe (Calendar), parent éploré (De beaux lendemains), patronne enceinte d'une boîte de strip-tease (Exotica), cuisinière cathodique exaltée (Le voyage de Félicia), tels sont les multiples visages d'Arsinée imaginés par son époux de cinéaste. Aujourd'hui, pour Ararat, elle est une conférencière aussi savante de l'Histoire collective de son pays que prompte à oublier son histoire intime.

Mais Arsinée Khanjian cache d'autres "secrets", moins médiatiques dans notre contrée : elle parcourt volontiers les planches du monde entier (Danser à Lughnasa, 1999) et s'investit dans la vie culturelle (elle participe toujours aujourd'hui bénévolement à des associations culturelles dans le monde entier et a beaucoup aidé la communauté artistique de son pays, le Canada, en s'occupant notamment de 1989 à 1994 du Bureau du Cinéma, de la Vidéo et de la Photographie au sein du Département des Arts de l'Ontario.)

Arsinée Khanjian, ou l'éternelle jeunesse d'une femme altière et brune, qui entre à pas feutrés dans le salon d'un grand hôtel parisien. Arsinée, la guerrière au regard noir, qui vient défendre la mémoire d'un peuple d'Arménie meurtri par un génocide dont on a trop souvent tu ne serait-ce que le nom.

Ararat, comme le mont arménien homonyme, l'un des symboles d'un film emprunt d'un faux classicisme. En effet, si Egoyan utilise différemment l'image vidéo que dans ses précédents longs-métrages, s'il laisse percer davantage l'émotion à travers ses plans, il n'en reste pas moins l'artisan habituel d'un film-méandres, à la fine abstraction, où se mêlent des personnages réunis par un feu vif (de la création, de la mémoire, de la haine), pris dans des temps différents.

Avec Ararat, évocation du génocide arménien de 1915 et de ses conséquences, le cinéaste propose une réflexion sur les traumatismes qu'engendre l'Histoire et la nécessité de la transmission pour apaiser les effets secondaires des souffrances passées.

Dans cet entretien, Arsinée Khanjian parle longuement de ce film, comme aboutissement d'un travail personnel et créatif questionnant sa propre identité.



  Ararat (c) D.R.

Objectif Cinéma : Ararat semble plus "classique", un peu en rupture avec les films précédents d'Egoyan, tout en préservant les mêmes obsessions thématiques…

Arsinée Khanjian : Je ne vois pas de différences dans la forme. Atom a toujours raconté ses histoires dans différents temps; c'est le cas de ce film-ci, et de manière peut-être un peu plus compliqué. Ses structures sont toujours sophistiquées. Le personnage du peintre, Gorki, est à cet égard très important, dans un film qui parle beaucoup de l'absence du père (celui du jeune homme et de la jeune fille notamment). Gorki adulte symbolise sûrement quelque chose. Jusqu'à quel point son apparition est-elle de l'ordre de la mémoire fantasmée ?

Contrairement aux autres films d'Atom, on peut dire que dans Ararat, les personnages parlent beaucoup et se cherchent. Le questionnement a toujours fait partie de son travail, mais là les questions sont identifiées, claires : une sorte d'auto-analyse s'effectue, mais devant le regard de l'autre. Le film parle d'un certain non-dit à propos du génocide arménien. Ce n'est pas un film sur le génocide arménien dans ses faits historiques, il n'essaye pas de le prouver : le film traite avant tout des conséquences du génocide : un négationnisme total, et pas seulement de la part de la Turquie, à l'origine de cette tragédie humaine. Il y a eu aussi, pendant le génocide arménien de 1915, un silence de la part de la communauté internationale, qui s'est poursuivi ensuite : tout ce qui avait été officiellement promis aux Arméniens n'a pas été tenu, la Turquie a réussi à être impunie pour les actes commis et les pays occidentaux se sont retirés de toute responsabilité.

Ararat devrait toucher tout le monde parce qu'il parle d'une responsabilité qui relève de la société en général.