Cinélycée :
Alain Brigand, vous qui êtes
à l’origine du projet du film 11’09"01 comment
vous est venue cette idée ?
Alain Brigand : J’ai voulu
me tourner vers les autres pays, savoir comment était
perçue la résonance de cet événement,
car ce jour là, la terre a véritablement tremblé.
Il fallait répondre à ces images par d’autres
images, avec une réflexion, dans le temps, chose que
la télévision n’a pas fait puisqu’elle était
dans l’urgence et dans l’immédiat. Je me suis adressé
à des cinéastes, qui ont répondu favorablement
après un certain temps de réflexion, car il
est vrai que le sujet est grave. De plus, ils sentaient toute
la valeur de leur engagement.
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Cinélycée :
Samira Makhmalbaf, comment des enfants
d’un village très pauvre peuvent-ils ressentir la secousse
d’un pays aussi lointain (et riche) que les Etats Unis ?
Samira Makhmalbaf : L’Iran
est le voisin de l’Afghanistan, je connais donc bien ce pays,
et lorsque mon père a fait Kandahar les gens lui ont
dit que c’était surréaliste, mais non, justement,
c’était la réalité d’un pays! Les gens
n’y croyaient pas car ce n’est jamais montré à
la télévision, sur CNN ou à la BBC. Je
dois représenter tout un peuple, et je ne voulais pas
faire un film partisan, mais universel, qui puisse toucher
tout le monde. C’est pour cela que j’ai choisi ces enfants
afghans dans mon film, car ils sont tout à fait innocents.
Je ne fais pas de politique, je crois que l’artiste doit être
comme un père ou une mère pour les peuples,
d’où qu’ils soient: on aime ce qu’on montre à
l’écran et on essaye d’aider les peuples à se
comprendre.
Dans mon film, on voit le professeur des enfants leur demander
de faire une minute de silence pour les victimes du 11 Septembre.
Les enfants refusent, car ils ne se sentent pas coupables,
ils ne savent même pas où est New York, et quelles
sont ces tours dont on parle. Pour eux cela reste complètement
abstrait.
Cinélycée :
Danis Tanovic, vous évoquez
un 11 Juillet 1995, le massacre de Srébrenika: c’est
un devoir de mémoire ?
Danis Tanovic : Je ne pense
pas, en tout cas, qu’on doive parler de commémoration.
Ce qui me touche, c’est la compassion, le sentiment de tristesse,
surtout, l’entraide entre les peuples. Mon film parle des
femmes de Srebrenika, qui, tous les 11 du mois, tournent autour
de la place pour se remémorer, car depuis sept ans
elles ne peuvent pas rentrer chez elles. De plus, on attend
toujours de retrouver les corps de leurs maris: pour moi,
la douleur des bosniaques est immense à Srebrenika.
Et cela dure toujours, ce n’est pas réglé mais
les gens l’oublient car la Bosnie a disparu. Ces femmes manifestent
pour elles, mais aussi pour tous ceux qui ont perdu quelqu’un.
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Cinélycée :
C’est une image moins frappante que
celle des deux tours.
Danis Tanovic : Oui, car "l’autre monde"
est celui des puissances économiques, et ce qui s’y
passe semble toucher d’avantage de gens. Je suppose que peu
de gens savent aujourd’hui que deux millions de personnes
sont mortes au Congo, et que ça continue: pourquoi
n’en parle t-on pas? Je ne dis pas que le 11 Septembre ne
mérite pas l’intérêt que l’évènement
a suscité, mais je crois qu’on devrait laisser du temps
et de l’espace aux autres évènements.
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