Propos
recueillis en 2002
Par Clémentine GALLOT
de l’équipe de Cinélycée.com
Après le très remarqué
et sulfureux Trouble Every Day, où Vincent Gallo
et Béatrice Dalle sépenchaient dans un cannibalisme
saignant, Claire Denis nous offre une adaptation à l’écran
de Vendredi Soir, le livre d'Emmanuèle Bernheim.
Cinélycée :
Comment vous est venue l’idée
du film ?
Claire Denis : A la suite d’une proposition de
mon producteur, je devais adapter un ancien scénario
de Jean Renoir, Adrienne. Emmanuèle Bernheim
et moi avons travaillé un an à ce projet, et
je n’y arrivais pas. Je lui ai finalement avoué, et
fait part de mon désir de faire un film centré
sur deux personnages : elle m’a alors dit qu’elle écrivait
un livre intitulé Vendredi soir. Il était
question que d’autres réalisateurs l’adaptent, et en
fait elle m’a dit qu’elle voulait que je le fasse. Quand j’ai
commencé à tourner, j’ai eu peur: j’ai trouvé
ça plus difficile que je ne l’avais d’abord imaginé,
à la lecture du livre. De plus, j’avais envie de prendre
de la distance par rapport à ce qu’on entend souvent
dire, sur l’intimité et les femmes.
Cinélycée :
Quelles sont les difficultés
d’une telle adaptation ?
Claire Denis : D’abord,
je n’ai jamais adapté de livre, même si j’y ai
déjà trouvé des sources d’inspiration.
C’était donc nouveau pour moi. Ensuite, un livre décrit
très bien une rencontre entre deux êtres, alors
que le cinéma se trouve presque disqualifié
pour ce genre de sujet. L’intimité, la courtoisie d’un
geste, l’audace : je sentais qu’il fallait inclure toutes
ces choses dans le film, car elles me touchent beaucoup. J’avais
envie de faire ce travail avec les comédiens. De même
que la timidité aide à aller dans l’intimité,
la pudeur et l’impudeur sont une seule et même chose
en fin de compte.
Cinélycée :
Vendredi soir: est-ce une réponse
apaisante après Trouble Every Day ?
Claire Denis : Les films
se répondent toujours, forcément, même
si on ne s’en rend compte qu’après. De plus, le projet
de Vendredi soir a pris forme avant le tournage de
Trouble Every Day, qui était une projection
cinématographique de la peur qu’on a des relations.
Mais ici j’ai traité le thème de la rencontre,
du moment où l’on tourne la tête vers quelqu’un
.. et puis voilà. J’essaye également de ne pas
utiliser de métaphores dans mes films, de les sortir
de ma tête: s’il y en a, c’est de manière inconsciente.
Cinélycée :
Vous situez-vous dans la tradition
d’un cinéma "féminin" (comme, par
exemple, Chantal Ackermann) ?
Claire Denis :Je n’ai pas pensé à
Chantal Ackermann en faisant ce film, bien que je l’aime beaucoup!
Je ne crois pas qu’il faille opposer aux embouteillages, par
exemple, quelque chose de féminin: de toute manière,
personne n’aime ça.