Cinélycée :
Quelle est la part d’improvisation
dans Ten ?
Abbas Kiarostami :
Il y en a beaucoup. Les sujets de conversation étaient
contrôlés mais l’expression était libre.
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Cinélycée :
Comment s’est passé le travail avec les comédiens
?
Abbas Kiarostami :
Comme d’habitude, j’ai travaillé avec des acteurs non
professionnels. Le travail que je fais avec eux peut durer
des mois. Nous commençons par discuter des sujets qui
seront abordés dans le film, peu à peu, ils
s’approprient cette réflexion, comme quand quelqu’un
vous raconte une blague et que vous la reprenez à votre
tour. Je leur donne le sujet, puis c’est à eux d’exprimer
ces idées avec leurs propres mots. A long terme, ce
travail devient une compréhension mutuelle, une communion.
Cinélycée :
Pourquoi avoir choisi de situer
l’action dans une voiture? Est-ce parce que c’est un lieu
plus propice aux confidences ?
Abbas Kiarostami :
C’est effectivement un lieu propice à ce genre de conversations,
mais ce n’est pas le seul! L’autre raison de ce choix est
l’usage de la caméra fixe: une distance constante par
rapport à l’acteur, sans changer de focale :dans
une voiture ce choix devient légitime. Alors que, si
on est dans une chambre on peut être tenté de
multiplier les plans. Il y a peu de temps j’ai fait un voyage
de sept heures en voiture avec un ami: durant le trajet nous
avons discuté et nous sommes toujours regardé
d’un seul angle de vue, d’une seule distance, et personne
ne s’en est fatigué. On n’a pas éprouvé
le besoin de mettre la caméra sur le capot. En voiture,
on ne peut pas se permettre de varier les points de vue. Autre
raison: dans une automobile, quand on se tait, on peut regarder
le paysage, ce qui est impossible dans une chambre où
le silence est toujours pesant. Le silence est plus acceptable
dans une voiture: il ne signifie pas qu’on est brouillés.
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Cinélycée :
Ten
peut faire penser au Goût de la cerise: est-ce
ce film qui vous a donné envie de continuer en vidéo
?
Abbas Kiarostami :
Quand j’ai commencé à travailler sur Ten
je n’ai pas pensé au Goût de la cerise.
Ce n’est que plus tard, en revoyant ces images brouillées,
que j’ai senti qu’elles me plaisaient. La comparaison entre
les deux films vient du fait que les acteurs, devant la
caméra 35 mm, étaient figés, conventionnels,
alors que dans la partie en vidéo j’ai vu qu’ils
étaient plus naturels. La vie circulait devant ma
caméra numérique.
Cinélycée :
Vos précédents
films mettaient en scène des hommes et des enfants,
comment en êtes-vous venu à filmer des femmes
?
Abbas Kiarostami :
Effectivement, je suis arrivé un peu tard aux femmes,
mais j’y suis arrivé! En fait, j’ai toujours vécu
avec ces histoires de femmes, mais quelques chose en moi
résistait à aller plus loin. Finalement, la
brèche s’est ouverte, mais il n’y a aucune raison
précise à cela.