Cinélycée :
Quels rapports entretiennent
le livre et le film ?
Nicole Garcia :
Lorsque j'ai fait part à Emmanuel Carrère de mon
projet, il m'a dit de prendre le rapport du juge, que je trouverais
la même chose que dans son livre. Mais c'est la manière
dont il arrivait à faire apparaître cet homme souffrant
qui m'a ouvert la porte de cette histoire. J'ai donc repris
le titre du livre, qui est un terme biblique : l'adversaire,
c'est le diable qu'on a en soi. On n'a pas proposé à
Emmanuel Carrère d'être scénariste, d'ailleurs
il ne voulait pas participer au film, le travail avait été
suffisamment rude pour lui.
Cinélycée :
Quel est votre rôle
dans la perception que vous nous donnez du personnage ?
Nicole Garcia :
Par exemple, dans la scène finale, j'ai montré
Jean-Marc Faure dans un état d'absence à lui-même.
Le film parle de l'inattention, de l'incuriosité
des autres, puisque personne n'a vraiment vu cet homme.
Or, la place du cinéaste est autre, ("moi, j'avais
vu") ce n'est pas un point de vue moral, ni un diagnostique
: on montre un aspect énigmatique qui est le sien,
et qu'on côtoie pendant tout le film. En étant
à côté de lui, on voit l'aveuglement
des autres, et lui, qui donne le change : au départ
du film il y a une phrase du livre de Carrère, "il
y a pire que d'être démasqué, c'est
de ne pas être démasqué". Sa femme,
à la fin, commence à avoir des doutes, elle
lui demande alors s'il s'est fait renvoyer. Elle est tellement
loin du compte, le temps a mis trop de distance, le mensonge
est trop gros, il y aurait trop de chemin à faire
pour tout lui raconter. Ce qui m'intéresse c'est
le croisement du banal et de l'inouï, en fin de compte.
Cinélycée :
Que pensez-vous du film de
Laurent Cantet L'emploi du temps ?
Nicole Garcia :
Quand on a su que deux films se préparaient sur l'affaire
Romand, on a eu très peur de faire la même
chose, alors on a échangé les scénarios.
Je ne voulais pas me distraire ou me troubler donc je n'ai
pas vu son film. On a bien vu que ça n'avait rien
à voir puisque le personnage de Cantet est représentatif,
sociologiquement, du chômage : d'ailleurs son film
se termine par un entretien d'embauche. Dans mon film, le
personnage n'a jamais travaillé et le malaise existentiel
n'a rien à voir. Ce que les deux films ont en commun
c'est l'enfouissement dans le silence, l'isolement, et une
analogie géographique. Mais la similitude s'arrête
là.
Cinélycée :
Parlez-nous de la musique
de Badalamenti dans le film.
Nicole Garcia :
Je ne voulais plus de musique quand on arrive dans cette
sorte de "cinquième acte" du film. Par ailleurs,
j'étais tenue de revenir toujours à ce dimanche,
à cette journée blanche qu'il a passée
seul, toutes choses accomplies dans cette maison. La musique
donnait un aspect non conjoncturel, lyrique sans être
romantique : cette musique le soutient, elle montre que
même dans la banalité de sa vie, quelque chose
était en marche.
2001 L'Adversaire
avec Daniel Auteuil, Alice Fauvet [Séances
du film] 1998Place Vendome
avec Catherine Deneuve, Jacques Dutronc 1994Le Fils préféré
avec Gérard Lanvin, Bernard Giraudeau 1990Un week-end sur
deux avec Nathalie Baye, Henri Garcin 198615 août
avec Ann Gisel Glass, Nathalie Rich (cm)