Entretien
réalisé en août 2002
à Tokyo Par Stephen SARRAZIN
Traduction de Yuki KONO
Merci à Machiko KOMATSU,
de Omega Wincott Inc.
Toshiaki Toyoda fait partie
de cette nouvelle génération de réalisateurs
Japonais dans la trentaine, encore méconnue en France,
parmi laquelle on retrouve également Isao Yukisada,
et Katsuhito Ishii. Véritable indépendant, Toyoda
ressemble à un jeune Shinya Tsukamoto, et bien que
leurs films s'imprègnent de la violence urbaine au
Japon, leurs esthétiques portent les traces du poids
qui pèse sur l'image dans ce pays, celui du temps.
Plus que jamais, Tsukamoto inscrit non seulement sa mise en
scène mais ses scénarios dans un Tokyo qui ne
parle guère à la génération actuelle.
Les cyberpunks, les salarymen frustres cèdent la place
à de nouveaux antihéros. Toyoda fut révélé
par l'excellent Pornostar, un premier long-métrage
tourné avec un budget dérisoire, sans autorisation
(sauf celles qui comptent) dans les quartiers chauds des secteurs
yakusa de Tokyo. Il enchaîna avec Unchained,
un documentaire sur l'univers de la boxe au Japon, moins convaincant.
Blue Spring dévoile une nouvelle maîtrise,
de nouveaux moyens ; l'équipe de production est
réputée pour ses collaborations avec Takashi
Miike, que Toyoda apprécie relativement. Toyoda adapte
avec intelligence le manga de Matsumoto, et pour ceux sensibles
aux passages réussis du manga au cinéma, à
eux découvrir Sharskinman& peach hip
girl, de Katsuhito Ishii, autre réussite du genre.
L'année 2002 fut une année moribonde pour quelques-uns.
Des réalisateurs Japonais reconnus par la critique :
Aoyama, Suwa, Koreeda, Kurosawa, Sakamoto ont tous échoué
à convaincre cette année. D'autres comme Shunji
Iwai, que la critique ne ménage guère au Japon,
démontrèrent leur capacité à naviguer
sur ses thèmes, dans ce Japon qui se demande toujours
ce qu'il est. Le film de Toyoda mit des mois à sortir,
et ce fut Cinema Rise, l'excellente salle d'art et
d'essai de Shibuya, qui diffuse à la fois Sous le
Sable de Francois Ozon et The Cremaster Cycle de
Matthew Barney, qui misa, avec succès sur Blue Spring
qui devrait sortir prochainement en France.
Objectif Cinéma
: Le manga Blue Spring
fut traduit en France, et son auteur, Matsumoto, est devenu
populaire. Pouvez-vous décrire la violence des lycées
au Japon par exemple, à quel âge est-ce
que les lycéens commencent à rouler les " r "
comme le font les Yakusa ?
Toshiaki Toyoda :
Cette violence des lycéens n'est pas seulement un phénomène
japonais, elle est présente partout, c'est international.
Ce qui distingue celle du Japon tient peut-être à
ceci : d'une part, les bandes qui se créent dans
les lycées singent le modèle yakusa, avec un
boss et deux lieutenants, de façon à former
un triangle, ou une pyramide. D'autre part, comme dans la
société japonaise, le pouvoir de ces bandes
s'infiltre dans les lycées ; le système
d'éducation au Japon s'appuie sur de vieilles notions
militaires, les uniformes, les réunions de classe chaque
matin, la hiérarchie des notes, des résultats,
mais en fait, il est miné dans sa crédibilité
par ses bandes. Ceci ne vaut pas pour tous les lycées,
entendons-nous. Donc ce roulement des " r ",
si caractéristique d’un yakusa, les garçons
s'y mettent au début de l'adolescence pour jouer les
durs. Tous mes copains de lycée à Osaka parlaient
de cette façon.
Objectif Cinéma
: Et vous ?
Toshiaki Toyoda
: Pas vraiment, mais maintenant si, sur les tournages, lorsque
je ne suis pas satisfait (rires).
Objectif Cinéma
: Vous étiez champion
de shogi. C’était une façon d'échapper
à cette violence des jeunes ? Toshiaki Toyoda
: Complètement, au lycée, j'etais un gentleman !