Olivier Assayas, né
à Paris en 1955, fut tout d’abord diplômé
des Beaux-Arts et réalisa de nombreux courts métrages.
De 1980 à 1985 il collabore, en tant que critique,
aux Cahiers du cinéma et participe à
l’écriture des films Rendez-vous et Le lieu
du crime d’André Téchiné. En 1987
il réalise son premier long métrage, Désordre,
qui recevra le prix de la critique internationale à
Venise en 1986.
Quelques longs-métrages plus tard, et une sélection
à Un Certain Regard avec Irma Vep en 1996, Olivier
Assayas est sélectionné au festival de Cannes
en 2000 avec Les destinés sentimentales. Il
y retourna en 2002 avec Demonlover.
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Cinélycée :
Truffaut pensait que chaque film correspondait
à un moment de la vie du cinéaste. Est-ce votre
cas ?
Olivier Assayas : J’allais
dire que c’est plus vrai dans le cas de cinéastes auteurs,
qui écrivent leurs films, plutôt que ceux qui
réalisent des commandes. Mais en réalité
la raison pour laquelle on fait un film à un certain
moment et la façon dont on le fait est toujours en
prise avec l’autobiographie. Les films ont toujours quelque
chose de documentaire, ils sont toujours un "bulletin
de santé". Quand on écrit soi-même
on est d’autant plus sensible à cela, du point de vue
de ses propres films et des films des autres. J’aime bien
les cinéastes qui tournent souvent, quand je vois leurs
films, j’ai l’impression de recevoir à chaque fois
des nouvelles, de savoir où ils en sont. Par extension,
lorsque je m’intéresse au travail de quelqu’un, que
je l’estime, que je m’intéresse à ses films,
qu’ils soient ou non réussis, dans la mesure où
ils s’inscrivent dans un système qui m’intéresse,
je m’intéresse aux fluctuations d’une œuvre. Parfois
des choses moins réussies me racontent des choses plus
complexes sur l’individu qui les a faites.
Cinélycée :
Quelle est la dimension autobiographique
de Demonlover ?
Olivier Assayas : Dans un sens,
heureusement que le lien de Demonlover à mon
autobiographie est plus souterrain et plus abstrait que pour
d’autres films. C’est un film qui a à avoir avec l’imaginaire,
qui prend ses racines dans le réel et en même
temps en décolle, en donne une interprétation
fantasmatique ou rêvée. C’est une question difficile
puisque je ne peux pas répondre en termes d’esthétique,
mais je dois expliquer en quoi le film résonne en moi,
et pourquoi je l’ai fait aujourd’hui. J’ai tendance à
dire que le projet esthétique supplante le projet autobiographique,
ce qui n’est pas vrai: à un moment donné, lorsqu’on
raconte des choses qui ont une certaine radicalité,
une certaine violence, c’est qu’on a besoin de se débarrasser
de ces choses là, de régler des comptes avec
soi-même, d’un point de vue intime. Il est très
difficile de décrire ce cheminement en moi.
Une manière "simple" d’en parler est de dire
qu’on est tous habités par " l’humain ",
au sens positif du terme, et aussi par des choses qui ont
à voir avec le négatif et la destruction. J’ai
fait deux films qui étaient plutôt du côté
du vivant (Fin août début septembre et
Les destinées sentimentales) qui étaient
en rapport avec une simplicité, une clarté,
et finalement une "lumière". J’avais tendance
à repousser ce qui parcourait mes premiers films :
une violence, une noirceur, qui ont sans doute à voir
avec un certain "romantisme" (même si je n’aime
pas beaucoup ce terme). On peut parler d’un rapport, d’une
affinité, ou d’une attirance pour le négatif.
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Je crois que Demonlover
est né d’un refoulement trop long de ces choses là,
de cette thématique: d’où cette brutalité,
cette radicalité, qui ont à voir avec cette
accumulation de charges. Je pense que cette idée de
la présence du négatif, de la perte (pour en
parler en termes batailliens) est quelque chose d’extrêmement
refoulé, non seulement par moi, mais par l’ensemble
du cinéma indépendant français. Alors
que c’est un élément qui est très présent
dans la vie, en général, et qui a de plus une
tradition artistique et culturelle non négligeable
(où j’ai l’impression d’aller chercher mes racines,
tout comme dans la peinture impressionniste, dont j’ai souvent
parlé à propos de mes précédents
films). Il y a pour moi une volonté d’affirmer quelque
chose, en particulier face à des œuvres que je trouvais
fades, fausses ou bien-pensantes, dans le système du
cinéma indépendant français.
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