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Olivier Assayas (c) D.R. OLIVIER ASSAYAS
Réalisateur
Entretien réalisé le 25 Octobre 2002
à Paris par Clémentine GALLOT
de l’équipe de Cinélycée.com


Olivier Assayas, né à Paris en 1955, fut tout d’abord diplômé des Beaux-Arts et réalisa de nombreux courts métrages. De 1980 à 1985 il collabore, en tant que critique, aux Cahiers du cinéma et participe à l’écriture des films Rendez-vous et Le lieu du crime d’André Téchiné. En 1987 il réalise son premier long métrage, Désordre, qui recevra le prix de la critique internationale à Venise en 1986.

Quelques longs-métrages plus tard, et une sélection à Un Certain Regard avec Irma Vep en 1996, Olivier Assayas est sélectionné au festival de Cannes en 2000 avec Les destinés sentimentales. Il y retourna en 2002 avec Demonlover.



  Truffaut (c) D.R.

Cinélycée : Truffaut pensait que chaque film correspondait à un moment de la vie du cinéaste. Est-ce votre cas ?

Olivier Assayas : J’allais dire que c’est plus vrai dans le cas de cinéastes auteurs, qui écrivent leurs films, plutôt que ceux qui réalisent des commandes. Mais en réalité la raison pour laquelle on fait un film à un certain moment et la façon dont on le fait est toujours en prise avec l’autobiographie. Les films ont toujours quelque chose de documentaire, ils sont toujours un "bulletin de santé". Quand on écrit soi-même on est d’autant plus sensible à cela, du point de vue de ses propres films et des films des autres. J’aime bien les cinéastes qui tournent souvent, quand je vois leurs films, j’ai l’impression de recevoir à chaque fois des nouvelles, de savoir où ils en sont. Par extension, lorsque je m’intéresse au travail de quelqu’un, que je l’estime, que je m’intéresse à ses films, qu’ils soient ou non réussis, dans la mesure où ils s’inscrivent dans un système qui m’intéresse, je m’intéresse aux fluctuations d’une œuvre. Parfois des choses moins réussies me racontent des choses plus complexes sur l’individu qui les a faites.


Cinélycée : Quelle est la dimension autobiographique de Demonlover ?

Olivier Assayas : Dans un sens, heureusement que le lien de Demonlover à mon autobiographie est plus souterrain et plus abstrait que pour d’autres films. C’est un film qui a à avoir avec l’imaginaire, qui prend ses racines dans le réel et en même temps en décolle, en donne une interprétation fantasmatique ou rêvée. C’est une question difficile puisque je ne peux pas répondre en termes d’esthétique, mais je dois expliquer en quoi le film résonne en moi, et pourquoi je l’ai fait aujourd’hui. J’ai tendance à dire que le projet esthétique supplante le projet autobiographique, ce qui n’est pas vrai: à un moment donné, lorsqu’on raconte des choses qui ont une certaine radicalité, une certaine violence, c’est qu’on a besoin de se débarrasser de ces choses là, de régler des comptes avec soi-même, d’un point de vue intime. Il est très difficile de décrire ce cheminement en moi.

Une manière "simple" d’en parler est de dire qu’on est tous habités par " l’humain ", au sens positif du terme, et aussi par des choses qui ont à voir avec le négatif et la destruction. J’ai fait deux films qui étaient plutôt du côté du vivant (Fin août début septembre et Les destinées sentimentales) qui étaient en rapport avec une simplicité, une clarté, et finalement une "lumière". J’avais tendance à repousser ce qui parcourait mes premiers films : une violence, une noirceur, qui ont sans doute à voir avec un certain "romantisme" (même si je n’aime pas beaucoup ce terme). On peut parler d’un rapport, d’une affinité, ou d’une attirance pour le négatif.

Demonlover (c) D.R.

Je crois que Demonlover est né d’un refoulement trop long de ces choses là, de cette thématique: d’où cette brutalité, cette radicalité, qui ont à voir avec cette accumulation de charges. Je pense que cette idée de la présence du négatif, de la perte (pour en parler en termes batailliens) est quelque chose d’extrêmement refoulé, non seulement par moi, mais par l’ensemble du cinéma indépendant français. Alors que c’est un élément qui est très présent dans la vie, en général, et qui a de plus une tradition artistique et culturelle non négligeable (où j’ai l’impression d’aller chercher mes racines, tout comme dans la peinture impressionniste, dont j’ai souvent parlé à propos de mes précédents films). Il y a pour moi une volonté d’affirmer quelque chose, en particulier face à des œuvres que je trouvais fades, fausses ou bien-pensantes, dans le système du cinéma indépendant français.