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Demonlover (c) D.R.

Cinélycée : On vous reproche une fascination pour le luxe, l’argent dans Demonlover, alors que c’est l’inverse que vous avez voulu montrer.

Olivier Assayas : C’est une lecture très pauvre, très bête, les gens projettent des choses d’eux-mêmes, un puritanisme, une idéologie de la positivité. Comme s’il y avait des choses qu’on n’avait pas le droit de montrer, de représenter, une dimension du monde qu’on ne voulait pas voir. Au fond, ce qui m’intéresse dans la pratique du cinéma, c’est justement de montrer ce que les autres (et les autres arts) ne montrent pas, ou de manière différente. Dans le monde contemporain, il est plus pertinent, notamment d’un point de vue politique, de représenter des choses caractéristiques, qui sont en rapport avec la présence de l’argent.

L’argent envahit la surface des choses, les gens deviennent à la fois fascinés, prisonniers, aliénés par ce qui est lié à la circulation des objets, des marchandises . Un des sujets du film est " l’emballage " dans le monde contemporain et la matérialisation de l’argent: chez les personnages, dans leur vêtements, leur mobilier, leur façon de vivre. Cela me semble très caractéristique du monde contemporain, à beaucoup d’égards, et cela me semble intéressant à désigner, à interroger, au lieu de prétendre que ça n’existe pas. Ca serait une lecture du monde archaïque, qui ne rendrait pas compte des contradictions de la société aujourd’hui, qui devraient être le sujet d’une réflexion, si on souhaite réfléchir à la transformation du monde moderne.


Cinélycée : Avez-vous l’impression que le monde contemporain transforme l’univers à la mesure de l’humain, tout en devenant de plus en plus déshumanisé ? N’est-ce pas paradoxal ?

Olivier Assayas : Bien sur, pour moi il s’agit d’un monde déshumanisé dans la mesure où les individus portent un masque, consciemment ou non. Il y a dans le film la dimension de l’espionnage, donc les personnages sont doubles, triples, mais en même temps ils sont étrangers à eux-mêmes, ils vivent dans un monde où il faut cacher l’humain. Et cela n’est pas de la science-fiction, c’est réellement le monde dans lequel on vit! L’identification au travail en tant qu’il représente l’économie, au sens le plus froid du terme, c’est le renoncement à l’humain. Le film raconte en partie, comment dans un monde où l’on refoule sans cesse l’humain, sa propre identité, son essence, l’humain finit toujours par reprendre le dessus, mais de façon tordue, perverse, ou autodestructrice. L’humain est par définition irrationnel, de même est le chemin qu’il parcourt, et il finit toujours par déjouer ces stratégies, par faire tomber les masques.


  Olivier Assayas sur Demonlover (c) D.R.

Cinélycée : En 1987, dans une enquête pour le journal Libération intitulée "Pourquoi filmez-vous ?" vous aviez dit: "pour répondre à cette question, mais aussi par amour, par foi, et par peur de la mort". Que répondriez-vous aujourd’hui ?

Olivier Assayas : Je me souviens d’avoir répondu que je filmais pour répondre à cette question. Je crois qu’aujourd’hui je ne répondrais pas la même chose. J’ai dit ça à un moment où je venais de faire mon premier film (nda Désordre) , ce qui est un stade très précoce de mon travail: j’étais, de fait, à la recherche d’une réponse à cette question. Beaucoup de choses que j’avais envie de faire se sont accomplies au cours de mon cheminement dans le cinéma, d’une manière ou d’une autre. Passée cette première approche, j’ai l’impression de m’être plutôt laissé porter par des questions que j’ai envie de poser. Le cinéma, aujourd’hui, pour moi, est un outil d’exploration du monde, et de moi-même, dans le sens où je pense que chacun porte en soi une infinité d’univers, de facettes, et lorsqu’on pratique un art on a la chance de pouvoir les déployer. Ce qui resterait atrophié, dans la réflexion ou la personnalité de quelqu’un qui n’exercerait qu’un seul métier, peut devenir la racine de nouvelles pistes chez un romancier, un cinéaste.. Faire du cinéma m’a permis de déployer, de prolonger des facettes de moi-même, et ce faisant, d’explorer le monde, à travers la confrontation entre cette potentialité et le réel. De ce point de vue là, on découvre un jour que l’exploration de soi rejoint finalement l’exploration du monde.