Cinélycée :
Pialat a dit que filmer l’avait empêché
de peindre. Etes-vous dans le même cas ? Filmer vous
permet-il d’exprimer ce sentiment esthétique ?
Olivier Assayas
: A l’inverse de Pialat, je n’ai pas peint car cela m’aurait
empêché de filmer. A un moment donné il
y a eu un choix conscient de ma part, très jeune: je
n’avais pas une idée très nette de ce qu’était
le cinéma, ni la peinture d’ailleurs. Très longtemps,
j’ai eu le sentiment que je pouvais faire les deux: j’ai eu
très tôt le désir de faire des films,
et celui de peindre aussi. C’est presque gênant d’en
parler car tout cela semble très juvénile: la
peinture était au centre de mes préoccupations
et de ma pratique entre quinze et vingt-cinq ans. J’ai survécu
à cette période de ma vie grâce à
la peinture: je n’ai pas aimé toutes sortes de choses
qu’on fait à cet âge-là, ni être
étudiant. J’avais besoin de me libérer de certains
choses à travers un moyen d’expression artistique,
qui a été en l’occurrence la peinture.
Je me disais que le cinéma était inaccessible,
trop loin, trop compliqué: je travaillais comme stagiaire,
je faisais des petits boulots sur des films pour m’approcher
de la pratique du cinéma. Je pensais que, tout en peignant,
j’arriverais un jour à faire des films. Je ne voulais
pas devenir réalisateur par la voie hiérarchique,
en étant deuxième assistant, puis premier: cela
ne me correspondait pas. Quand j’ai eu la possibilité
de faire des courts-métrages de façon artisanale,
j’ai compris que j’étais encore trop loin du cinéma
car je devais m’y engager à plein temps pour pouvoir
l’aborder.
Cinélycée :
Regrettez-vous d’avoir abandonné la peinture ?
Olivier Assayas : Non je
ne regrette pas car le chemin que j’ai pris n’était
pas compatible avec la peinture. Il fallait que je m’engage
entièrement dans l’un des deux: or, le cinéma
demande une pratique et une réflexion, j’ai donc
commencé à écrire sur le cinéma,
et à écrire des scénarios. C’est une
activité envahissante, surtout quand elle se développe
sur plusieurs niveaux. La peinture me manque de façon
diffuse, presque dans le rapport physique avec la toile,
les pinceaux, les gestes. En même temps je crois que
c’est en peignant que j’ai appris le plus de choses sur
l’art, ce que c’est qu’exprimer quelque chose. Quand je
fais du cinéma, c’est ,de façon incarnée,
élargie, quelque chose qui a à voir avec ce
qui se passait entre la toile et moi.
Cinélycée :
Vous avez réalisé
un documentaire sur Hou Hsiao-Hsien pour la série
Cinéma de notre temps. Y a t-il des points communs
dans votre manière de concevoir le cinéma
?
Olivier Assayas : Quand j’ai
fait ce documentaire sur lui, c’était parce que je
le connaissais depuis longtemps, depuis ses débuts.
Il a commencé à faire des films quand j’en
étais encore à écrire pour les Cahiers.
Je l’avais rencontré à Taiwan pour son premier
film, et j’ai vu qu’il se passait quelque chose d’important,
de nouveau, dans le cinéma chinois. J’avais écrit
sur lui et contribué à la diffusion du film
hors de Taiwan. Par ce biais nous sommes restés amis,
en dialogue, à travers ses films et les miens, en
se voyant dans des festivals ou à Paris. Ce qui m’intéressait
dans ce documentaire c’était de faire un portrait
de cinéaste et un portrait d’individu. En
somme, parler du cinéma comme je trouve qu’on n’en
parle jamais c’est à dire en l’inscrivant dans la
vie de quelqu’un. Je voulais montrer le cinéma comme
une pratique émanant de la vie d’un individu, de
son rapport à la société et au monde,
et son histoire. Or, la cinéphilie française
particulièrement, a une tradition, qui est de ne
pas aborder ces questions-là: ne pas aborder les
œuvres des cinéastes en fonction de leurs existence
est une aberration pour moi! Le fait d’avoir une familiarité
avec Hou Hsiao Hsien me plaçait dans une position
unique pour avoir un regard sur son cinéma :
j’étais à la fois proche et éloigné
par la différence de culture. Je voulais servir de
trait d’union avec la cinéphilie occidentale qui,
malgré un grand respect pour lui, comprenait très
mal son cinéma. J’ai essayé à travers
ce film de restituer la dimension humaine de son oeuvre
pour que les gens s’en sentent plus proches, ce qui s’est
plus ou moins produit d’ailleurs.
Cinélycée :
Quels sont les cinéastes
classiques que vous admirez le plus ?
Olivier Assayas : Pour ce
genre de question il vaut mieux répondre ce qui vous
vient en premier: j’ai une immense admiration pour Fritz
Lang. Ensuite, il y a ceux que je cite toujours: Bresson
et Tarkovski, deux cinéastes que je place au dessus
de tout le reste du cinéma. Leurs œuvres explorent
des territoires qui vont bien au delà du cinéma.