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Hou Hsiao-Hsien (c) D.R.
Cinélycée : Dans le cinéma contemporain ?

Olivier Assayas : Beaucoup d’oeuvres pour des raisons différentes. Les films de Cronenberg, au Canada, et Lynch,aux Etats Unis, sont des œuvres importantes. Le cinéaste que j’admire le plus est Michael Mann, ces trois derniers films m’ont épaté, il me semble vraiment exceptionnel et pas assez reconnu. Après, m’intéressent ceux avec lesquels j’ai l’impression d’avoir un dialogue, donc il y a la question d’un rapport immédiat avec les individus. En France: Claire Denis, Arnaud Desplechins, Cedric Kahn, André Téchiné. En Asie: Edward Yang, Hou Hsiao-Hsien, Wong Kar Waï. Au Canada Atom Egoyan, aux Etats-Unis Tarantino, et d’autres que j’oublie.


Cinélycée : Quel est la fonction du critique ? Juger ? Prolonger un film ?

Olivier Assayas : Il y a la critique, au sens littéral et la théorie du cinéma, qui est une écriture –souvent- à la première personne: j’écrivais sur le cinéma pour répondre à des questions que je me posais, et j’avais l’impression de parler de moi.


Cinélycée : Est-il nécessaire d’avoir un regard de cinéaste ?

Olivier Assayas : Pas nécessairement, il n’y a pas de règle, chacun a un rapport différent. Ce à quoi vous faites allusion correspond surtout à une époque spécifique des Cahiers du cinéma, avec, ensuite, des exemples isolés, dont le mien notamment. Pour moi, écrire sur le cinéma a été l’équivalent d’une école de cinéma, dans le sens où ça m’a permis de m’interroger sur mon rapport au cinéma et sur sa pratique. En ce qui concerne la critique au sens littéral, il peut y avoir un dialogue avec les spectateurs, équivalent à un rapport de guide du consommateur: "tel produit est bon ou pas pour vous".

Il y à une autre approche, qui est celle du dialogue avec le cinéaste: il s’agit de se placer du point de vue de celui qui a fait le film, qui pose des questions , ou n’en pose pas, ou les pose mal etc.. une problématique spécifique avec laquelle celui qui écrit sur le film peut se trouver en relation. On peut donc établir un dialogue en accord ou en désaccord avec ce qui est en jeu, du point de vue de la création dans ce film-là.



  Michael Mann (c) D.R.

Cinélycée : Que pensez-vous de l’état de la critique de cinéma en France aujourd’hui ?

Olivier Assayas : De manière un peu fragmentaire, et individuelle, il y a des choses très bien. Mais la critique institutionnelle, la cinéphilie classique est un peu victime d’un système. La critique va chercher ses sources dans une théorie: or, aujourd’hui, la théorie "diffuse" du cinéma est très mauvaise. Du coup la critique s’en ressent. La réflexion sur le cinéma qui est devenue très formatée par l’université, se fonde sur des outils trop anciens. Le cinéma change de forme, les systèmes esthétiques se modifient et sont très différents des cadres canoniques de la cinéphilie. Il y a dans la cinéphilie classique un repliement sur des valeurs "refuge", sur des choses qui demeurent dans le cadre traditionnel de l’esthétique cinématographique. Or, ce champ est de plus en plus restreint car le nouveau cinéma se propage de plus en plus vite, et est infiniment plus en prise avec le monde contemporain. Le cinéma se déploie de manière trop rapide par rapport à la théorie du cinéma qui a perdu pied depuis longtemps. Les critiques se passionnent donc pour des styles de cinéma au fond archaïques –occasionnellement passionnants- du type Kiarostami, Oliveira, ou Kaurismäki. La pratique de ces cinéastes demeure dans un cadre historique de la cinéphilie et donc dialogue de façon frontale avec les outils anciens dont se sert la critique. Mais dès qu’un cinéma est engagé dans la matière contemporaine, la théorie du cinéma n’a plus les outils pour le regarder, pour en rendre compte: ils n’y voient qu’une perturbation du canon. Or, on ne peut pas parler d’un film de Michael Mann comme d’un film de Ozu (que la théorie du cinéma adore).