Dans les bureaux de l’Etrange
Festival, ils semblent ne former qu’une seule et même
entité, tant le bon déroulement des réjouissances
obéit à leur présence motrice : Frédéric
Temps et Gilles Boulenger sont les " patrons " de ce festival
atypique. Aussi rigoureux dans la réalisation de leurs
objectifs qu’exigeants dans les re-découvertes qu’ils
orchestrent depuis maintenant dix ans, ces deux anciens journalistes
étaient déjà pionniers voire pédagogues,
même si cette dimension les fait sourire, dans l‘exploration
de territoires cinématographiques encore peu connus,
asiatiques notamment.
Un entretien s’imposait, à l’heure où le festival
atteint sa première décade d’existence. Et c’est
avec toute l’attention et le sérieux qui dénotent
l’interviewer scrupuleux (M. Boulenger a à son actif
John Carpenter, William Friedkin) que Frédéric
Temps et Gilles Boulenger se sont prêtés à
leur tour au jeu de l’entretien, pour évoquer les intentions
fondatrices de l’Etrange Festival, leur refus amusé
de se voir considérer comme une " institution ", et
soulever à nouveau les problèmes cruciaux de
la censure et de la conservation d’un patrimoine cinématographique
en péril.
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Objectif Cinéma
: Dans les textes produits
autour du festival, les éditos, il y a un nom qui revient
fréquemment et que l’on ne s’attend pas forcément
à trouver : celui de Serge Daney.
Frédéric Temps
: Mais c’est parce que c’est lui qui a le mieux exprimé
dans ses articles et dans ses ouvrages la notion de " passeur
" par rapport à des œuvres et des courants cinématographiques
mondiaux. Il faut savoir que lui-même était quelqu’un
qui était un petit peu isolé au sein de la profession,
puisqu’il n’hésitait pas à aller arpenter toute
l’année des chemins un peu décalés :
on le trouvait entre deux moustiques et trois léopards,
en Afghanistan, en Asie, en Amérique Latine, pour ensuite
être de passage dans un studio hollywoodien. C’était
quelqu’un qui a consacré une grande partie, si ce n’est
la principale partie de sa vie au cinématographe -
et quand je dis cinématographe, ce n’est pas de " cinéma
" dont il s’agit. Et nous nous sommes retrouvés face
à l’idée identique " d’amener " des films.
De fait, nous sommes peut-être les seuls, du moins en
France, à pratiquer cette méthode très
pointue qui consiste à s’intéresser à
des genres assez disparates, et à fouiller au fond
même de l’histoire du cinéma pour en ressortir
des œuvres dont les principales encyclopédies ne parlent
même pas, ou ne nomment même pas. Pour prendre
l’exemple l’an dernier de Norman Mailer, c’était la
première fois que les Français découvraient
son œuvre cinématographique, même si c’est quelqu’un
de très connu pour d’autres raisons. Alors qu’il a
fait 4 films et pas des moindres ! Je prends l’exemple de
Mailer, mais on pourrait aussi bien parler de Konuma cette
année.
Lui-même était complètement suffoqué
de voir l’accueil qu’il a rencontré au festival, parce
qu’il estimait que son œuvre, était faite pour les
quartiers à putes et qu’elle faisait partie d’une cinématographie
un peu expéditive, bis, faite avec deux francs six
sous, et tombée en désuétude depuis les
années 70. Il était bouleversé de voir
l’enthousiasme des spectateurs, un immense auditorium l’applaudissant,
l’intérêt des questions qu’on lui posait... Et
lui, comme d’ailleurs Herschell Gordon Lewis, sont repartis
de Paris, enjoués à un point extrême.
Alors, on se fait plaisir, on fait plaisir aux spectateurs,
et on fait plaisir aux artistes eux-mêmes. Pour nous
c’est du pain béni, on a réussi ce qu’on voulait.
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