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L'Etrange Festival 2002 (c) D.R. FREDERIC TEMPS
ET GILLES BOULENGER

Organisateurs de l’Etrange Festival
Entretien réalisé à Paris
le 10 septembre 2002
Par Yves GAILLARD


Dans les bureaux de l’Etrange Festival, ils semblent ne former qu’une seule et même entité, tant le bon déroulement des réjouissances obéit à leur présence motrice : Frédéric Temps et Gilles Boulenger sont les " patrons " de ce festival atypique. Aussi rigoureux dans la réalisation de leurs objectifs qu’exigeants dans les re-découvertes qu’ils orchestrent depuis maintenant dix ans, ces deux anciens journalistes étaient déjà pionniers voire pédagogues, même si cette dimension les fait sourire, dans l‘exploration de territoires cinématographiques encore peu connus, asiatiques notamment.

Un entretien s’imposait, à l’heure où le festival atteint sa première décade d’existence. Et c’est avec toute l’attention et le sérieux qui dénotent l’interviewer scrupuleux (M. Boulenger a à son actif John Carpenter, William Friedkin) que Frédéric Temps et Gilles Boulenger se sont prêtés à leur tour au jeu de l’entretien, pour évoquer les intentions fondatrices de l’Etrange Festival, leur refus amusé de se voir considérer comme une " institution ", et soulever à nouveau les problèmes cruciaux de la censure et de la conservation d’un patrimoine cinématographique en péril.



  Serge Daney (c) D.R.

Objectif CinémaDans les textes produits autour du festival, les éditos, il y a un nom qui revient fréquemment et que l’on ne s’attend pas forcément à trouver : celui de Serge Daney.

Frédéric Temps : Mais c’est parce que c’est lui qui a le mieux exprimé dans ses articles et dans ses ouvrages la notion de " passeur " par rapport à des œuvres et des courants cinématographiques mondiaux. Il faut savoir que lui-même était quelqu’un qui était un petit peu isolé au sein de la profession, puisqu’il n’hésitait pas à aller arpenter toute l’année des chemins un peu décalés : on le trouvait entre deux moustiques et trois léopards, en Afghanistan, en Asie, en Amérique Latine, pour ensuite être de passage dans un studio hollywoodien. C’était quelqu’un qui a consacré une grande partie, si ce n’est la principale partie de sa vie au cinématographe - et quand je dis cinématographe, ce n’est pas de " cinéma " dont il s’agit. Et nous nous sommes retrouvés face à l’idée identique " d’amener " des films.

De fait, nous sommes peut-être les seuls, du moins en France, à pratiquer cette méthode très pointue qui consiste à s’intéresser à des genres assez disparates, et à fouiller au fond même de l’histoire du cinéma pour en ressortir des œuvres dont les principales encyclopédies ne parlent même pas, ou ne nomment même pas. Pour prendre l’exemple l’an dernier de Norman Mailer, c’était la première fois que les Français découvraient son œuvre cinématographique, même si c’est quelqu’un de très connu pour d’autres raisons. Alors qu’il a fait 4 films et pas des moindres ! Je prends l’exemple de Mailer, mais on pourrait aussi bien parler de Konuma cette année.

Lui-même était complètement suffoqué de voir l’accueil qu’il a rencontré au festival, parce qu’il estimait que son œuvre, était faite pour les quartiers à putes et qu’elle faisait partie d’une cinématographie un peu expéditive, bis, faite avec deux francs six sous, et tombée en désuétude depuis les années 70. Il était bouleversé de voir l’enthousiasme des spectateurs, un immense auditorium l’applaudissant, l’intérêt des questions qu’on lui posait... Et lui, comme d’ailleurs Herschell Gordon Lewis, sont repartis de Paris, enjoués à un point extrême. Alors, on se fait plaisir, on fait plaisir aux spectateurs, et on fait plaisir aux artistes eux-mêmes. Pour nous c’est du pain béni, on a réussi ce qu’on voulait.