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Objectif Cinéma
: Depuis maintenant dix ans,
on peut dire que l’Etrange a formé une génération
de cinéphiles. Est-ce que, au point ou vous en êtes,
la dimension " didactique " a pris le pas sur le pur plaisir
de la révision ?
Gilles Boulenger
: Dans tous les cas de figure, je ne crois pas que nous soyons
dans une démarche didactique. On essaie simplement
de donner à voir nos envies, et ces envies, on essaie
de les faire " passer ". Ça vaut mieux qu’une démarche
" didactique " ou " professorale " qui ne serait pas forcément
plaisante pour le spectateur dans un cadre comme celui de
l’Etrange. Donc nous n’essayons pas de l’éduquer au
sens strict ; on essaie simplement de l’orienter vers d’autres
horizons, lui montrer qu’il y a d’un côté ce
qu’on peut voir à l’UGC Cité-Ciné, puis
de l’autre, quinze jours pendant l’année où
il pourra peut-être vivre des choses différentes,
pénétrer dans des territoires jusqu’alors peu
défrichés. C’est notre volonté principale.
Dans l’absolu le but n’est pas de se dire qu’on a essayé
de créer une nouvelle génération de cinéphiles,
même si c’est flatteur de se l’entendre dire, mais que
nous avons peut-être simplement diversifié la
curiosité des personnes qui fréquentaient déjà
les salles. Ne serait-ce que ça, c’est déjà
pas mal.
Objectif Cinéma
: Au fil des éditions,
l’Etrange Festival est quasi devenue une institution : en
quoi cette évolution a-t-elle modifié votre
travail, voire votre programmation ?
Gilles Boulenger
: On le dit oui, mais on est loin d’en être sûr.
Et heureusement, car on se serait très vite figé.
Frédéric Temps
: Qui dit " travail " dit donc " salaire ", mais il faut savoir
que l’Etrange Festival est une structure totalement bénévole
: nous-mêmes nous nous défonçons littéralement
depuis dix ans pour que ce festival existe avec une qualité
optimale, et soit à la hauteur de ce qu’on attend de
nous, y compris à l’étranger, puisque de véritables
professionnels nous regardent. Partant de ce principe-là,
il est évident que nous ne passons pas notre temps
sur le festival, qui est une opération faite à
l’arraché. Bien sûr, nous mettons en place des
choses en amont, on tend des ponts avec différentes
cinématographies sur la longueur et parfois depuis
de nombreuses années. Mais la vraie structure de fabrication
de la machine qui roule pendant quinze jours se fait sur 4
ou 5 mois. Alors il est évident qu’on a des modes de
vie parallèles, parce qu’il faut bien manger !
Cela nous prend beaucoup de temps et nous apporte beaucoup
de fatigue, comme tout un chacun. Mais à ce niveau-là,
la notion " d’institution " tombe tout de suite
à la corbeille.
D’autre part les gens - et c’est très flatteur - nous
voient comme une institution. Dans la revue de presse, les
articles commencent ainsi : " attendu chaque
année comme un évènement majeur " .
C’est très gentil, mais on ne s’endort pas sur ce genre
de lauriers : ce n’est pas le genre de la maison ni notre
philosophie. Nous ne pouvons tout simplement pas nous considérer
comme une institution. On en revient au terme de Daney, on
essaie de ménager un " passage " qui revient chaque
année au Forum des Images.
Gilles Boulenger
: Et il n’y a pas d’incidence par rapport à la programmation.
Ce n’est pas parce que l’extérieur nous perçoit
comme quelque chose qui devient immuable - ce qui n’est jamais
le cas d’ailleurs - que nous essaierons pour autant de capitaliser
sur cet immuable, pour arriver à sécuriser une
image ou un certain nombre de spectateurs. L’image est de
toute façon systématiquement remise en cause
chaque année, parce que les gens qui la découvrent
la remettent en cause chaque année.
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Objectif Cinéma
: L’Etrange Festival a pour
la première fois édité un DVD labellisé,
réunissant une sélection de court-métrages
présentés au cours de ses dix ans. Cette initiative
sera-t-elle isolée ?
Frédéric Temps
: C’est encore un peu trop tôt
pour en parler, on attend d’abord de connaître les résultats
de cette édition collector. Apparemment il y a eu beaucoup
de demandes, puisque des boutiques spécialisées
nous ont sauté dessus pour savoir si elles pouvaient
les mettre en vente. En fait, nous avons fait ce DVD un peu
exceptionnel pour l’anniversaire, et tout le monde a joué
le jeu (les producteurs, les distributeurs, les réalisateurs)
avec ce pari de dire que la seule solution, pour cette initiative
sans budget, était de faire un tirage ultra-limité
de 1000 exemplaires vendus exclusivement sur les lieux et
pendant la durée du festival, et que les droits d’auteur
tombent. Et tout le monde, sans hésitation, a dit oui
tout de suite, parce que c’était pour l’Etrange Festival.
Alors, en plus de l’aspect " beau cadeau d’anniversaire ",
il s’est passé une véritable revendication en
notre faveur, de la part de gens apparemment ravis d’avoir
été présenté chez nous. Durant
la manifestation, on a un peu "la tête dans le guidon",
et les choses que l’on découvre après coup,
comme le fait d’être pris en considération, est
important. Cela nous montre qu’il faut continuer, malgré
nos difficultés.
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