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L'Etrange Festival 1993 (c) D.R.

Objectif Cinéma : Depuis maintenant dix ans, on peut dire que l’Etrange a formé une génération de cinéphiles. Est-ce que, au point ou vous en êtes, la dimension " didactique " a pris le pas sur le pur plaisir de la révision ?

Gilles Boulenger : Dans tous les cas de figure, je ne crois pas que nous soyons dans une démarche didactique. On essaie simplement de donner à voir nos envies, et ces envies, on essaie de les faire " passer ". Ça vaut mieux qu’une démarche " didactique " ou " professorale " qui ne serait pas forcément plaisante pour le spectateur dans un cadre comme celui de l’Etrange. Donc nous n’essayons pas de l’éduquer au sens strict ; on essaie simplement de l’orienter vers d’autres horizons, lui montrer qu’il y a d’un côté ce qu’on peut voir à l’UGC Cité-Ciné, puis de l’autre, quinze jours pendant l’année où il pourra peut-être vivre des choses différentes, pénétrer dans des territoires jusqu’alors peu défrichés. C’est notre volonté principale. Dans l’absolu le but n’est pas de se dire qu’on a essayé de créer une nouvelle génération de cinéphiles, même si c’est flatteur de se l’entendre dire, mais que nous avons peut-être simplement diversifié la curiosité des personnes qui fréquentaient déjà les salles. Ne serait-ce que ça, c’est déjà pas mal.


Objectif Cinéma : Au fil des éditions, l’Etrange Festival est quasi devenue une institution : en quoi cette évolution a-t-elle modifié votre travail, voire votre programmation ?

Gilles Boulenger : On le dit oui, mais on est loin d’en être sûr. Et heureusement, car on se serait très vite figé.

Frédéric Temps : Qui dit " travail " dit donc " salaire ", mais il faut savoir que l’Etrange Festival est une structure totalement bénévole : nous-mêmes nous nous défonçons littéralement depuis dix ans pour que ce festival existe avec une qualité optimale, et soit à la hauteur de ce qu’on attend de nous, y compris à l’étranger, puisque de véritables professionnels nous regardent. Partant de ce principe-là, il est évident que nous ne passons pas notre temps sur le festival, qui est une opération faite à l’arraché. Bien sûr, nous mettons en place des choses en amont, on tend des ponts avec différentes cinématographies sur la longueur et parfois depuis de nombreuses années. Mais la vraie structure de fabrication de la machine qui roule pendant quinze jours se fait sur 4 ou 5 mois. Alors il est évident qu’on a des modes de vie parallèles, parce qu’il faut bien manger ! Cela nous prend beaucoup de temps et nous apporte beaucoup de fatigue, comme tout un chacun. Mais à ce niveau-là, la notion " d’institution " tombe tout de suite à la corbeille.

D’autre part les gens - et c’est très flatteur - nous voient comme une institution. Dans la revue de presse, les articles commencent ainsi : " attendu chaque année comme un évènement majeur " . C’est très gentil, mais on ne s’endort pas sur ce genre de lauriers : ce n’est pas le genre de la maison ni notre philosophie. Nous ne pouvons tout simplement pas nous considérer comme une institution. On en revient au terme de Daney, on essaie de ménager un " passage " qui revient chaque année au Forum des Images.

Gilles Boulenger : Et il n’y a pas d’incidence par rapport à la programmation. Ce n’est pas parce que l’extérieur nous perçoit comme quelque chose qui devient immuable - ce qui n’est jamais le cas d’ailleurs - que nous essaierons pour autant de capitaliser sur cet immuable, pour arriver à sécuriser une image ou un certain nombre de spectateurs. L’image est de toute façon systématiquement remise en cause chaque année, parce que les gens qui la découvrent la remettent en cause chaque année.


  Etrange Festival (c) D.R.

Objectif Cinéma : L’Etrange Festival a pour la première fois édité un DVD labellisé, réunissant une sélection de court-métrages présentés au cours de ses dix ans. Cette initiative sera-t-elle isolée ?

Frédéric Temps : C’est encore un peu trop tôt pour en parler, on attend d’abord de connaître les résultats de cette édition collector. Apparemment il y a eu beaucoup de demandes, puisque des boutiques spécialisées nous ont sauté dessus pour savoir si elles pouvaient les mettre en vente. En fait, nous avons fait ce DVD un peu exceptionnel pour l’anniversaire, et tout le monde a joué le jeu (les producteurs, les distributeurs, les réalisateurs) avec ce pari de dire que la seule solution, pour cette initiative sans budget, était de faire un tirage ultra-limité de 1000 exemplaires vendus exclusivement sur les lieux et pendant la durée du festival, et que les droits d’auteur tombent. Et tout le monde, sans hésitation, a dit oui tout de suite, parce que c’était pour l’Etrange Festival. Alors, en plus de l’aspect " beau cadeau d’anniversaire ", il s’est passé une véritable revendication en notre faveur, de la part de gens apparemment ravis d’avoir été présenté chez nous. Durant la manifestation, on a un peu "la tête dans le guidon", et les choses que l’on découvre après coup, comme le fait d’être pris en considération, est important. Cela nous montre qu’il faut continuer, malgré nos difficultés.