Objectif Cinéma
: Le spectacle vivant revient
également cette année, après une interruption. Frédéric Temps
: Ça faisait plusieurs années qu’on essayait de
faire quelque chose avec Steve Joyner et son collectif texan,
et on a pu le faire cette année pour les dix ans. On
travaille de façon très fragile, et on n’a pas
toujours les budgets qu’on souhaite. Sinon, il y a longtemps
que nous aurions fait de l’Etrange Festival une énorme
machine. Si on ne le fait pas, ce n’est pas parce que nous n’en
avons pas envie, ou parce que l’on est épuisé,
c’est simplement que nous n’en avons pas les moyens ; et les
risques ne sont pas à prendre trop souvent, parce qu’il
peut arriver, au grand plaisir de certains, sans doute, que
l’on se casse un jour la gueule.
Objectif Cinéma
: Vous
êtes animé par un désir de transdisciplinarité ?
Frédéric Temps
: Bien sûr, ce serait ça l’idéal ! Ce
n’est pas l’envie qui nous en manque, mais les fonds. Et
pourtant, dieu sait que les institutions commencent à
bouger, à commencer par la Ville de Paris. En raison
de nos sujets, certaines institutions développent
aussi une certaine frilosité, ne serait-ce que pour
recevoir un dossier. Sans même parler des privés
: vu la situation économique mondiale actuelle, où
tout est en régression absolue, si nous ne pouvions
pas bénéficier auparavant des énormes
quantités de budgets qui étaient pourtant
bien développées par certaines entreprises,
ce n’est pas aujourd’hui qu’on va le faire.
Objectif Cinéma
: On constate depuis les
origines du festival des évolutions dans les cinématographies
mises à l’honneur : si les cinémas asiatique
et surtout japonais sont privilégiés depuis
les origines, on ne retrouve plus guère des films
australiens, néo-zélandais ou brésiliens.
Gilles Boulenger
: S’il existe un " fil rouge " comme le Japon, il n’est
réel que depuis que la rétrospective Suzuki
en 1996, car préalablement ce n’était pas
le cas. Les " fils rouges " , ce
sont avant tout des cinéastes davantage qu’un pays.
Le Japon a engendré énormément de cinéastes
de talent, dont la découverte ou la re-découverte
est d’autant plus importante à orchestrer. Mais,
objectivement, il n’y a pas eu d’abandon de cinématographies
au profit d’autres : nous évoluons aussi par rapport
à ce qui existe et ce qui est vivant dans le cinéma.
Il se peut très bien que nous re-présentions
des cinéastes néo-zélandais ou australiens,
mais encore faut-il qu’il y ait des films intéressants.
Le problème est moins lié à notre volonté
qu’à notre désir vis-à-vis de ce qui
existe, en dehors de toute limite de frontière. La
seule frontière que nous ayons est de se demander
si tel ou tel film vaut la peine d’être montré,
dans la perspective qui est la nôtre. Et à
priori aucun grand cinéaste n’a été
découvert récemment, jusqu’à preuve
du contraire, en Australie ou en Nouvelle-Zélande,
du moins en ce qui nous concerne.
Frédéric Temps
: Dans le cas de certains films, il y a aussi la question
de leur distribution par rapport à nos dates. Il
faut que cela coïncide. Mais surtout, n’oublions jamais
que nous faisons ce festival avec un état d’esprit
de spectateur. On a réussi à garder cette
fraîcheur. Donc nous pouvons très bien voir
des films qui, selon certains, correspondraient au festival,
avec, pour eux, une espèce de logique qui nous ferait
présenter un certain type de films, mais qui ne nous
semblerait pas du tout évidente. On peut être
déçu du film d’un auteur qu’on suit, on peut
très bien ne pas apprécier un film qu’on nous
a conseillé à grand renfort de communication,
en nous disant " vous verrez c’est pour vous " ,
etc. Nous ne faisons pas les choses de façon " démagogique " ,
en se disant : " ça c’est bon, ça
va plaire aux spectateurs, on va se faire des thunes ".