Objectif Cinéma :
Est-ce qu’il existe un certain
snobisme politique dans le milieu du cinéma ?
Frédérique
Dumas : Il y a un snobisme
total, avec une dichotomie entre la manière dont
les gens se projettent politiquement et la manière
dont ils se conduisent. C’est assez exaspérant. Se
donner une étiquette de gauche, c’est comme s’acheter
une vertu par essence. Je suis à l’UDF (centre droit),
mais combien de fois ai-je dû prouver que je n’étais
pas du Front national ! Je me suis fait traiter d’ultra-libérale
et j’ai toujours eu à me justifier, alors que les
gens qui sortent l’étiquette " de gauche "
sont d'une certaine façon plus tranquilles.
"CANAL +, C’EST COMME L’U.R.S.S"
Objectif Cinéma : Votre
affiliation politique vous a t-elle gênée dans
votre métier de productrice ?
Frédérique
Dumas : Les problèmes
que j’ai eus ont été liés principalement
à mes prises de position par rapport à Canal
+ quand j’étais présidente du BLIC (Bureau
de liaison des industries cinématographiques). A
ce moment-là, certains ont cherché à
me discréditer en me traitant d’ultra-libérale.
Objectif Cinéma
: Et votre position était…
? Frédérique
Dumas : De laisser la place
au nouvel entrant (la chaîne TPS) et d’affirmer que
le pluralisme et la démocratie, c’est d’avoir plusieurs
guichets et non le monopole de Canal +.
Objectif Cinéma
: Est-ce que vous vous doutiez
que ce monopole portait les germes de la catastrophe qui
s’est déroulée cette année ? Frédérique
Dumas : Je ne pensais pas
qu’on en arriverait là, mais j’étais convaincue
que Canal + était très mal gérée.
Pour moi c’était un peu comme l’U.R.S.S. Evidemment,
il y a du travail pour tout le monde et on trouve ça
super, mais à un moment donné, c’est la banqueroute
! Parce que c’est la vie à crédit. Mais tout
est allé beaucoup plus loin que le simple problème
Canal +, avec la fusion Vivendi-Universal et la déroute
de Jean-Marie Messier…
Objectif Cinéma
: Maintenant, qu’anticipez-vous,
à la fois pour Noé Productions et pour la
majorité des producteurs indépendants ?
Frédérique
Dumas : Quoi qu’on fasse,
je pense que cela sera de plus en plus difficile d’être
indépendant. Pour tous ceux qui n’auront pas d’une
manière ou d’une autre un accord avec d’autres partenaires
- de l’intégration à une espèce de
communauté d’intérêts avec des groupes,
par exemple plusieurs compagnies diversifiées (publicité,
production, catalogues, …) qui permettrait de passer des
périodes un peu difficiles en jouant sur la solidarité
entre les différents secteurs d’expertise - il ne
sera plus possible de fonctionner de la manière dont
on a fonctionné jusqu’à présent.
Je ne suis pas en faveur de l’interdiction totale des concentrations
horizontales ou verticales. Il faut un peu de synergie.
Mais par contre, il faut limiter la concentration pour assurer
le droit à la concurrence. C’est la raison d’être
du politique : créer tous les outils juridiques qui
assurent une diversité. Mais il ne faut pas se leurrer
: avec le nouveau paysage du cinéma français
qui se dessine actuellement, il y aura moins de diversité
qu’avant.
Objectif Cinéma
: Comment le marché
du cinéma français peut-il résister
face au marché américain ?
Frédérique
Dumas : S’il n’y a pas plus
d’Europe, on n’y arrivera pas. De la même manière
qu’on doit faire avancer l’Europe de la défense ou
l’Europe diplomatique, il faut que les décisions
soient prises de façon collective. Les obligations
d’investissement devraient se faire au niveau européen.
Toutes les chaînes de télé devraient
avoir des obligations d’investissement. Je pense qu’on ne
peut plus se battre simplement en France. Sous couvert de
défendre la culture de chaque pays, on n’a absolument
pas donné de compétence au niveau européen.
C’est ridicule, et c’est pour ça que l’UDF est fédéraliste.