Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     


 

 

 

 

 
Jean-Claude Brisseau (c) Stéphane Legrand JEAN-CLAUDE BRISSEAU
Cinéaste
Entretien réalisé à Paris
le 18 Octobre 2002
Par Nadia MEFLAH
Photos de Stéphane LEGRAND


LE CINEASTE DE NOTRE TEMPS

ELEGIE DU MAL


Objectif Cinéma attendait avec impatience et suspense le dernier film de Jean-Claude Brisseau Choses Secrètes. Depuis plus de deux ans exactement, date à laquelle le cinéaste nous avait reçus chez lui pour une rencontre passionnante en cinéma. Et déjà le film existait en suspend, dans le souffle puissant du cinéaste, colosse magnifique au regard d’une douceur parfois toute féminine.

  Choses secrètes (c) D.R.

Sur nos écrans depuis plusieurs semaines (programmé dans seulement cinq à Paris, depuis le mercredi 16 octobre 2002), Choses Secrètes est un véritable chant d’amour au cinéma de la modernité. Ce cinéma qui fait ressentir en chaque spectateur le point de cristallisation de toute une vie. Radicale dans sa volonté de témoigner des puissances de l’image ; Jean-Claude Brisseau nous offre avec son dernier film une matière vivante sous hautes tensions. Tout d’abord celle de la sexualité féminine. Qu’est-ce qu’une femme ? Comment com-prendre cette énigme (pour l’homme) de la jouissance ? Obsession des plus grands cinéastes de notre temps, que ce soit Alfred Hitchcock, Manoël de Oliveira, Imamura, Im Kwon-Taek, Jean Renoir ou Jean-Luc Godard, Jean-Claude Brisseau semble vouloir aller plus loin (ce qu’il réussit magistralement) et traverser le miroir pour un au-delà de la transgression.

Dans une quête du sens. Celui qu’il ne cesse de traquer depuis Un  Jeu Brutal (premier long-métrage de fiction datant de 1982 avec Bruno Crémer) où se met en jeu, pour chacun de ses films depuis, une histoire de rédemption charnelle. Non pas tant le récit de la Passion (même si la problématique du Père, de la Chair / Verbe et de l’Ame innervent en sourdine sa cinématographie) qu’une histoire du regard où l’Autre peut tour à tour vous tuer, vous baiser, ou tout simplement vous éduquer. On a beaucoup parlé dans la presse (et lui-même a cœur d’y revenir) de l’ancien métier du cinéaste, professeur de français en banlieue parisienne (Aubervilliers, Clichy, Bagnolet) durant près de vingt ans, et de son souci de la transmission. Ce serait le cinéaste-pédagogue d’un film De bruit et de fureur qui fit date (1988, révélation de François Négret) dans la presse et auprès du grand public. Dès lors, il fut perçu uniquement sous l’angle politique et social (l’engagement d’un franc-tireur pour les grandes causes sociétales françaises etc…) et non en tant que cinéaste formaliste et moderne. Où peut se conjuguer à l’intérieur d’un même plan la trivialité du réalisme d’une banlieue quelconque et un onirisme fantastique. Sans trucages tape-à-l’œil mais par une utilisation du découpage à l’intérieur de ses plans séquences (sa signature) où quelque chose se passe. Un rapport d’inquiétude et d’attente au Temps. Dès lors, par cette écriture du cinématographe (1) (Bresson et Brisseau ont plus en commun que la sonorité homonymique) le cinéaste ne cesse de convoquer le Cinéma dans ses formes mais aussi dans ses enjeux. Et Choses secrètes, près de 15 ans plus tard, semble ramasser en son sein tous les noumènes souterrains brisseaunien pour mieux nous les offrir comme autant de rituels de passages. Le cinéaste donne à vivre une épreuve initiatique rare dans le cinéma actuel où ce qui se joue est histoire de regard. Cinéaste matérialiste où la forme du récit adopté semble à chaque instant imploser sous nos yeux. Le plus grand cinéaste de notre temps.