LE CINEASTE DE NOTRE
TEMPS
ELEGIE DU MAL
Objectif Cinéma attendait
avec impatience et suspense le dernier film de Jean-Claude
Brisseau Choses Secrètes. Depuis plus de deux
ans exactement, date à laquelle le cinéaste
nous avait reçus chez lui pour une rencontre passionnante
en cinéma. Et déjà le film existait en
suspend, dans le souffle puissant du cinéaste, colosse
magnifique au regard d’une douceur parfois toute féminine.
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Sur nos écrans
depuis plusieurs semaines (programmé dans seulement
cinq à Paris, depuis le mercredi 16 octobre 2002),
Choses Secrètes est un véritable chant
d’amour au cinéma de la modernité. Ce cinéma
qui fait ressentir en chaque spectateur le point de cristallisation
de toute une vie. Radicale dans sa volonté de témoigner
des puissances de l’image ; Jean-Claude Brisseau nous offre
avec son dernier film une matière vivante sous hautes
tensions. Tout d’abord celle de la sexualité féminine.
Qu’est-ce qu’une femme ? Comment com-prendre cette énigme
(pour l’homme) de la jouissance ? Obsession des plus grands
cinéastes de notre temps, que ce soit Alfred Hitchcock,
Manoël de Oliveira, Imamura, Im Kwon-Taek, Jean Renoir
ou Jean-Luc Godard, Jean-Claude Brisseau semble vouloir aller
plus loin (ce qu’il réussit magistralement) et traverser
le miroir pour un au-delà de la transgression.
Dans une quête du sens. Celui qu’il ne cesse de traquer
depuis Un Jeu Brutal (premier long-métrage
de fiction datant de 1982 avec Bruno Crémer) où
se met en jeu, pour chacun de ses films depuis, une histoire
de rédemption charnelle. Non pas tant le récit
de la Passion (même si la problématique du Père,
de la Chair / Verbe et de l’Ame innervent en sourdine sa cinématographie)
qu’une histoire du regard où l’Autre peut tour à
tour vous tuer, vous baiser, ou tout simplement vous éduquer.
On a beaucoup parlé dans la presse (et lui-même
a cœur d’y revenir) de l’ancien métier du cinéaste,
professeur de français en banlieue parisienne (Aubervilliers,
Clichy, Bagnolet) durant près de vingt ans, et de son
souci de la transmission. Ce serait le cinéaste-pédagogue
d’un film De bruit et de fureur qui fit date (1988,
révélation de François Négret)
dans la presse et auprès du grand public. Dès
lors, il fut perçu uniquement sous l’angle politique
et social (l’engagement d’un franc-tireur pour les grandes
causes sociétales françaises etc…) et non en
tant que cinéaste formaliste et moderne. Où
peut se conjuguer à l’intérieur d’un même
plan la trivialité du réalisme d’une banlieue
quelconque et un onirisme fantastique. Sans trucages tape-à-l’œil
mais par une utilisation du découpage à l’intérieur
de ses plans séquences (sa signature) où
quelque chose se passe. Un rapport d’inquiétude
et d’attente au Temps. Dès lors, par cette écriture
du cinématographe (1) (Bresson et Brisseau ont plus
en commun que la sonorité homonymique) le cinéaste
ne cesse de convoquer le Cinéma dans ses formes mais
aussi dans ses enjeux. Et Choses secrètes, près
de 15 ans plus tard, semble ramasser en son sein tous les
noumènes souterrains brisseaunien pour mieux
nous les offrir comme autant de rituels de passages. Le cinéaste
donne à vivre une épreuve initiatique rare dans
le cinéma actuel où ce qui se joue est histoire
de regard. Cinéaste matérialiste où la
forme du récit adopté semble à chaque
instant imploser sous nos yeux. Le plus grand cinéaste
de notre temps.
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