L'ébauche des personnages réalisée,
il s'agit ensuite de les rendre suffisamment humains pour
qu'ils puissent nous toucher. Vient alors le travail d'écriture
classique. Je travaille davantage les personnages et les situations
de base que le récit proprement dit, dans un premier
temps au moins. Les personnages se racontent par la façon
dont ils réagissent face à une situation. Un
personnage, c'est fait de bric et de broc, de gens que je
connais, de choses que j'ai vues dans les journaux, de moi
aussi, bien sûr.
J'ai toujours travaillé
de la même façon : les personnages se créent
sur 25 ou 30 séquences. Quand j'arrive à la
séquence 30, mes personnages sont construits. Ils le
sont suffisamment pour être autonome. Je ne peux plus
leur faire faire ce que je veux. Parfois, j'ai écrit
une situation, je veux la poursuivre, et je m'aperçois
en relisant que ça sonne faux, que le personnage tel
qu'il existe au bout de ces X premières pages, ne peut
plus faire telle chose dans la logique du film. Cela m'ouvre
alors un champ d'investigation différent auquel je
ne m'attendais pas et qui parfois me surprend.
Objectif Cinéma
:Un couple épatant
est le revers de Pour
rire
Lucas Belvaux
: Oui. Ce sont des films qui fonctionnent en miroir. J'ai
commencé à écrire la trilogie avant d'avoir
tourné Pour rire. Le jour où j'ai fini
le scénario de Pour rire, je commençais
le lendemain à écrire la trilogie. Je ne me
suis pas arrêté, il n'y a pas eu une journée
de battement entre les deux.
Objectif Cinéma
: Et concrètement comment
travaillez-vous ? Vous faites un plan ?
Lucas Belvaux
: Non je ne fais pas de plan, j'avance séquence par
séquence. Pour la trilogie, j'avais effectivement un
plan, mais vraiment très vague. Je vois toujours à
peu près où je vais dans les 10 pages qui suivent,
mais pas au-delà. Je ne cherche pas à le savoir,
parce que si je connaissais la fin de mon histoire avant de
la commencer, j'écrirais alors l'histoire en fonction
de cette fin. Et je ramènerais alors sans cesse mon
personnage sur des sentiers balisés.
Objectif Cinéma
: En écrivant, vous
aviez quand même des points de repère chronologiques
Lucas Belvaux
: Non, la chronologie se construit aussi petit à
petit. Lorsqu'une séquence qui mettait en scène
des personnages communs à deux ou trois films, était
écrite, l'ordinateur me permettait de la dupliquer
et de la coller dans les autres scénarios, là
où elle entrait dans la chronologie. Et quand je
passais à l'autre scénario, je retravaillais
la séquence dans sa continuité, pour savoir
si elle restait telle quelle, si je devais en couper un
bout, si je la gardais ou pas dans son intégralité.
Par exemple, toutes les séquences où Leroux
croise un personnage étaient placées à
la fois dans le scénario de Cavale et dans
celui du personnage en question. Des séquences de
Après la vie sont passées ainsi dans
Cavale, même si elles ne sont plus dans Cavale
aujourd'hui. Et vice-versa. Tout cela servait justement
à construire la chronologie. Elles allaient peut-être
se révéler indispensables dans le récit,
mais je ne le savais pas encore.
Objectif Cinéma
: Vous avez bien évidemment
écrit plusieurs versions des scénarios Lucas Belvaux
: Des quantités Cela bougeait tout le temps.
Jusqu'au moment de la préparation. J'ai souvent tendance
à travailler comme cela, mais pour la trilogie, c'était
indispensable. Pendant le tournage, on est sans cesse en
réaction par rapport aux événements
extérieurs, il y a une équipe, des acteurs,
40 personnes, du temps qui passe très vite, et on
n'a plus le temps de penser au scénario, sauf pour
une réplique à droite ou à gauche.
Je fais confiance au scénario au moment du tournage,
j'y ai réfléchi avant à tête
reposée, j'ai eu le temps de le faire, et je considère
que les choix faits ont été les meilleurs.