FAIRE
FOI DE SIMPLICITE
Raymond Depardon adapte pour son nouveau film Un homme
sans l’occident (2003) l’ouvrage d’un officier méhariste
de l’armée colonialiste début XXe.* Après
plusieurs versions du scénario, le cinéaste
choisit de tourner le film avec deux caméras muettes
en ne conservant que ses envies personnelles originelles.
Depardon ne cherche pas la carte postale colorée et
ne filme pas pour caresser dans le sens du poil, et ne monte
pas non plus son film pour tout morceler en grains de sable.
Il filme la lenteur (Serge Gainsbourg de retour d’Afrique
ne se vantait-il pas d’avoir réussi à filmer
la lenteur essentielle du continent noir?). C’est un autre
monde, un autre rythme, ici. Les spectateurs occidentaux se
devaient d’être bousculé dans leurs habitudes,
d’où d’ailleurs peut-être les réactions
parfois négatives face au film. Des réactions
difficiles par rapport à un film que l’on dit "
froid ", sentiment a priori curieux pour un film se déroulant
dans le désert du Sahara. Mais aurait-on oublié
la dureté froide du Sahara ? En sortant de la projection
d’Un homme sans l’occident, une première impression
peut en effet apparaître : Depardon n’a pas cherché
à filmer le sable chaud - comme l’avait fait remarquablement
Hiroshi Teshigahara (avec La femme des sables, 1964),
mais peut-être surtout la force mystérieuse du
vent Saharien. Un vent dur et si constant qu’il en devient
visible et parlant - la post-synchronisation de ce vent Saharien
redoublant sa force omnipotente. Si à l’époque
de La femme des sables, les spectateurs sortaient du
film avec l’impression d’avoir des grains de sable collés
à leur peau, les spectateurs de Un homme sans l’occident
pourraient bien garder en eux et sur eux les caresses incessantes
de ce vent que l’on croirait parfois venu du grand nord.
Chasseur d’images au Tchad depuis plus de 30 ans, Raymond
Depardon retourne dans le désert et y a traqué
et collecté le vent, un vent vagabondant au gré
de la banquise saharienne. Car, en effet, le réalisateur
filme le Sahara comme une banquise dans laquelle on perce
dans l’espoir d’y trouver l’eau ou pour y enfouir des secrets.
Mais contrairement à l’esquimau Nanook, le héros
de Depardon ne se construit aucun refuge, il est le vent même
du désert toujours prêt à partir et à
tout laisser tomber : clans, famille, argent. Un homme
sans l’occident est le récit d’un des derniers
hommes noirs libres avant la colonisation... foncièrement
matérialiste. Et, au fond, ce vent traversant de part
en part le film de Depardon, avec force et vigueur, est peut-être
aussi le mouvement intrinsèque et vital du cinématographe.
Et le mouvement musical emprunté aux œuvres de Valentin
Silvestrov de prolonger encore ces flux et reflux libérés.
Reste alors un autre mouvement au film, inoubliable, libérateur,
celui de cette lune géante dans l’image y apparaissant
tel un œuf, un crâne ou l’éclat grandissant d’une
explosion. Depardon scrute alors un autre mystère,
à l’état brut et à ne surtout pas verbaliser.
Un instant rare dans un film âpre mais pas difficile.
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Objectif Cinéma
: Vous avez dit à propos
de votre dernier film Un homme sans l’occident :
" Eclairer, attendre la belle lumière est un luxe
qui ne m'intéressait pas pour ce tournage, il me semblait
même déplacé par rapport à l'histoire.
" Que voulez-vous dire par " déplacé
" ?
Raymond Depardon
: Je dirais un luxe d’occidental. Faire une belle image. Pour
les gens qui vivent dans le désert, la lumière
est toujours la même, qu’il s’agisse du lever ou du
coucher de soleil, avec ou sans vent. J’ai bien senti que
je n’avais pas envie de tomber dans quelque chose " d’apprêté.
" J’ai pensé qu’il était plus utile de
tourner dans un désert avec des lumières a priori
" sans qualité ". Filmer le " désert
de tous les jours " : une vision non-descriptive du désert
où la couleur n’est pas forcément belle toute
la journée. Il y a des moments très fort dans
le désert où la couleur est magnifique mais
ça nous aurait apporté un maniérisme
qui aurait été déplacé, au sens
que ces gens ont une vie très dure. Il fallait faire
foi de simplicité. Et c’est comme si j’étais
chargé de faire leur film à eux.
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