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Raymond Depardon (c) D.R. RAYMOND DEPARDON
Réalisateur
Entretien réalisé
le 21 janvier 2003 à Toulouse
Par Alexandre TYLSKI

Remerciements :
Sylvie Buscail (Les Films du Losange),
Benoît Condeminas (ABC),
Geoffrey Boulangé (ESAV)
ainsi que abc-toulouse.net


FAIRE FOI DE SIMPLICITE

Raymond Depardon adapte pour son nouveau film Un homme sans l’occident (2003) l’ouvrage d’un officier méhariste de l’armée colonialiste début XXe.* Après plusieurs versions du scénario, le cinéaste choisit de tourner le film avec deux caméras muettes en ne conservant que ses envies personnelles originelles.

Depardon ne cherche pas la carte postale colorée et ne filme pas pour caresser dans le sens du poil, et ne monte pas non plus son film pour tout morceler en grains de sable. Il filme la lenteur (Serge Gainsbourg de retour d’Afrique ne se vantait-il pas d’avoir réussi à filmer la lenteur essentielle du continent noir?). C’est un autre monde, un autre rythme, ici. Les spectateurs occidentaux se devaient d’être bousculé dans leurs habitudes, d’où d’ailleurs peut-être les réactions parfois négatives face au film. Des réactions difficiles par rapport à un film que l’on dit " froid ", sentiment a priori curieux pour un film se déroulant dans le désert du Sahara. Mais aurait-on oublié la dureté froide du Sahara ? En sortant de la projection d’Un homme sans l’occident, une première impression peut en effet apparaître : Depardon n’a pas cherché à filmer le sable chaud - comme l’avait fait remarquablement Hiroshi Teshigahara (avec La femme des sables, 1964), mais peut-être surtout la force mystérieuse du vent Saharien. Un vent dur et si constant qu’il en devient visible et parlant - la post-synchronisation de ce vent Saharien redoublant sa force omnipotente. Si à l’époque de La femme des sables, les spectateurs sortaient du film avec l’impression d’avoir des grains de sable collés à leur peau, les spectateurs de Un homme sans l’occident pourraient bien garder en eux et sur eux les caresses incessantes de ce vent que l’on croirait parfois venu du grand nord.

Chasseur d’images au Tchad depuis plus de 30 ans, Raymond Depardon retourne dans le désert et y a traqué et collecté le vent, un vent vagabondant au gré de la banquise saharienne. Car, en effet, le réalisateur filme le Sahara comme une banquise dans laquelle on perce dans l’espoir d’y trouver l’eau ou pour y enfouir des secrets. Mais contrairement à l’esquimau Nanook, le héros de Depardon ne se construit aucun refuge, il est le vent même du désert toujours prêt à partir et à tout laisser tomber : clans, famille, argent. Un homme sans l’occident est le récit d’un des derniers hommes noirs libres avant la colonisation... foncièrement matérialiste. Et, au fond, ce vent traversant de part en part le film de Depardon, avec force et vigueur, est peut-être aussi le mouvement intrinsèque et vital du cinématographe. Et le mouvement musical emprunté aux œuvres de Valentin Silvestrov de prolonger encore ces flux et reflux libérés. Reste alors un autre mouvement au film, inoubliable, libérateur, celui de cette lune géante dans l’image y apparaissant tel un œuf, un crâne ou l’éclat grandissant d’une explosion. Depardon scrute alors un autre mystère, à l’état brut et à ne surtout pas verbaliser. Un instant rare dans un film âpre mais pas difficile.



  Un homme sans l'occident (c) D.R.

Objectif Cinéma : Vous avez dit à propos de votre dernier film Un homme sans l’occident : " Eclairer, attendre la belle lumière est un luxe qui ne m'intéressait pas pour ce tournage, il me semblait même déplacé par rapport à l'histoire. " Que voulez-vous dire par " déplacé " ?

Raymond Depardon : Je dirais un luxe d’occidental. Faire une belle image. Pour les gens qui vivent dans le désert, la lumière est toujours la même, qu’il s’agisse du lever ou du coucher de soleil, avec ou sans vent. J’ai bien senti que je n’avais pas envie de tomber dans quelque chose " d’apprêté. " J’ai pensé qu’il était plus utile de tourner dans un désert avec des lumières a priori " sans qualité ". Filmer le " désert de tous les jours " : une vision non-descriptive du désert où la couleur n’est pas forcément belle toute la journée. Il y a des moments très fort dans le désert où la couleur est magnifique mais ça nous aurait apporté un maniérisme qui aurait été déplacé, au sens que ces gens ont une vie très dure. Il fallait faire foi de simplicité. Et c’est comme si j’étais chargé de faire leur film à eux.