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Un homme sans l'occident (c) D.R.

Objectif Cinéma : Est-ce cette volonté de simplicité qui vous a poussé à convoquer pour votre film les œuvres musicales de Valentin Silvestrov ?

Raymond Depardon : C’est le monteur son qui me l’a proposé. J’avais cherché des choses de mon côté, pas toujours très intéressantes car trop folkloriques, trop proches. Il y a des musiques de désert qui se vendent très bien aujourd’hui, des musiques orientales, ça se fait beaucoup, des musiques d’aéroport je dirais ! Très agréables si vous repeignez votre plafond, mais pour mettre sur des images, ça ne va pas, cela leur fait perdre quelque chose. Alors la musique de Silvestrov, j’y suis entré avec réticence - car je suis toujours réticent à la musique - mais j’ai trouvé qu’il y avait un lyrisme qui se portait bien ici. Peut-être parce que Silvestrov est ukrainien et qu’il n’est pas très loin de la Sibérie, des toundras et des grands espaces. Et aussi parce que c’est un musicien à mi-chemin entre la contemplation classique et contemporaine. Et les morceaux choisis par mon monteur fou Dominique Vieillard m’ont paru marquer les bons moments qui partent et reviennent dans le film et éclairent la psychologie du personnage. Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait que les personnages occidentaux qui aient droit à de la musique pour renforcer leur solitude et leurs sentiments ! Bref, je voulais une musique dans le film et hors film. Je suis très exigeant avec les musiques, j’ai beaucoup de mal à en trouver pour mes films. Mais là, c’était un bon procédé, on ne voulait pas non plus beaucoup de musiques et il n’était pas question de demander à un musicien une musique originale parce qu’après, le problème, c’est qu’on est obligé de l’accepter !

Objectif Cinéma : Pour revenir au traitement visuel, existe-t-il selon vous des différences majeures entre photographier le désert et filmer le désert ?

Raymond Depardon : Oh les deux sont difficiles ! (rires) On a toujours la déception de ne pas voir le hors champ de l’image. On est au milieu de quelque chose, au milieu d’un camembert d’une trentaine de kilomètres de diamètre et c’est décevant car on ne peut pas capturer une seule image de tout ça. Mais cela fait plus que jamais prendre conscience que la planète est ronde, bizarrement ! (rires) C’est décevant aussi parce qu’on est jamais dans le plat, il y a toujours des petites dunes. Quand on filme le désert on est déçu car on dirige sa caméra vers un point, mais on n’a pas l’autre point. A moins de faire un 360 degrés, mais ça ne rend pas justice au désert. Alors, soit on ne triche pas (et ça donne le film que j’ai fait) ou soit on triche avec des vues d’hélicoptère mais alors, on ne filme pas vraiment le désert.

  Un homme sans l'occident (c) D.R.

Objectif Cinéma : Alors que dans votre film, on a l’impression d’être au contraire dans le cœur du désert, dedans. La force du vent y est peut-être pour quelque chose. N’est-ce pas d’ailleurs le vrai sujet de votre film, le vent ? Votre personnage étant lui-même libre comme le vent, libre d’aller où il veut, de laisser tout tomber s’il le souhaite.

Raymond Depardon : Oui ! On n’est peut-être pas loin de l’autoportrait d’ailleurs. (rires) Il y a une quête. Ce personnage est prêt à tout abandonner car pour lui, la liberté, c’est ce qui est le plus important. Et il veut rester libre. Et cela m’a assez surpris en lisant l’histoire. Il était orphelin, élevé par des chasseurs, il avait envie de rejoindre la tribu de ses parents et cela faisait de lui un Africain différent. Comme il y a des gens différents. Il y avait un côté Rimbaud chez lui. Le Rimbaud d’Harrar bien sûr. Tout ce qu’il touche finit mal. Des Italiens pendant le Festival de Venise m’ont parlé de " restes ". Il a comme une malchance avec lui-même, une destinée. Et là, j’ai repensé à Rimbaud, une destinée à la fois extraordinaire et perdue d’avance. Il y a du pathétique là-dedans. Je trouve qu’Alifa [le personnage principal] a une grâce, il est très étonnant, il vient d’ailleurs, il vient de très loin, du monde pré-islamique et même d’un monde avant les civilisations. Rescapé de quelque chose. Et puis, le Tchad est touché par le Nil et toutes les civilisations qui vont avec, tout proche de l’Ethiopie et ses plateaux millénaires. Et on y a trouvé notre ancêtre. Le berceau de l’humanité. Comme si ces chasseurs étaient les derniers descendants de l’homme sur terre. Ils sont nomades, pas vraiment touchés par la société moderne avec ses écoles, ses études, l’éducation, la santé, etc. Ils n’ont pas changé de façon de vivre depuis très longtemps. C’est donc un peu un voyage dans le temps, mais pas du tout de manière passéiste ou nostalgique. Mais ils ne brûlent pas notre planète. Pour faire du feu, ils prennent des crottes de chameaux. Ils ne sont dépendants de personne et n’attendant plus rien de nous. Ils sont un peu déçus et vivent en autarcie. Ils sont les premiers et les derniers habitants. Nous on pourrait mourir dans une bombe atomique qu’ils seraient encore les derniers survivants.