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Les Amants du Pont-Neuf (c) D.R. MICHEL VANDESTIEN
Chef décorateur
Entretien réalisée
le 12 décembre 2002
Par Alexandre TSEKENIS


Dans le paysage du cinéma français, Michel Vandestien est un décorateur qui se qualifie lui-même d’atypique. D’abord scénographe pour le théâtre, cet homme du Nord travaille souvent dans le Midi puisqu’il est le fidèle collaborateur de Robert Guédiguian. C’est également dans le Sud de la France qu’il reconstitua tout un paysage parisien, accompagnant de son désir et de sa passion le rêve d’un jeune réalisateur, Léos Carax.  A la fois admiré et âprement discuté, le fameux Pont-Neuf des amants est à ce jour le plus vaste décor de cinéma jamais construit en Europe.


  Gildas Bourdet (c) D.R.

Objectif Cinéma : Contrairement à de nombreux décorateurs de cinéma contemporain, vous avez commencé par le théâtre.

Michel Vandestien : Au départ, je voulais être musicien. Je suis issu d’une famille d’ouvriers, et comme beaucoup, mes parents voulaient autre chose pour leurs enfants. La peinture n’étant pas un métier, je suis entré - en cachette - aux Beaux-arts de Tourcoing. Je suis devenu maître auxiliaire, j’ai enseigné la peinture, l’histoire de l’art, le dessin dans des écoles d’art appliqué. 

Une jeune compagnie de théâtre, La Salamandre, s’est installée dans le Nord. Le directeur, Gildas Bourdet, cherchait un décorateur et je me suis présenté. J’ai été d’abord peintre décorateur puis décorateur au bout de trois semaines, je suis resté avec eux environ cinq ans. Le rideau se levait et on applaudissait les décors, on entendait la surprise.

Un cinéaste, Patrick Brunie, est venu tourner à Tourcoing. C’est ainsi que j’ai fait mon premier film. Je suis donc arrivé au cinéma au travers de personnes, par affinités. Pas par volonté de faire du cinéma.


Objectif Cinéma : Mais vous connaissiez bien le cinéma ?

Michel Vandestien : Non. Je voyais des films, bien sur : Pasolini, Fassbinder, Bergman, Bunuel…. Quand Carax rencontrait des décorateurs pour Mauvais sang, il leur demandait avec qui ils aimeraient travailler. Beaucoup répondaient avec des noms de réalisateurs à la mode. Sans calcul de ma part, j’ai cité des cinéastes qui étaient quasiment tous morts, ou d’autres aussi comme Ferreri ou Scorsese. Par la suite, Carax m’a dit m’avoir embauché parce qu’il n’y avait pas affiché «CINEMA » sur mon front.


Mauvais Sang (c) D.R.

Objectif Cinéma : Que vous apporté  la pratique du théâtre ?

Michel Vandestien : Le travail sur le texte, le travail avec les comédiens. Le décor au théâtre, dans le cas du décor à l’italienne, est une boîte noire qu’il faut allumer. Au cinéma c’est le contraire, il faut éteindre. Souvent, on trouve les séquences de nuit plus intéressantes, la réalité s’ordonne, comme dans le noir et blanc.

J’allais dans les cages de scène, j’allumais mon briquet. La peur. Qu’est-ce que je vais faire là dedans ? Comment avancer dans cette boîte noire ? Quand Tchékhov écrit « Il y a de la brume sur le lac », on n’est pas au cinéma, il n’y a pas de lac. On doit traduire, magnifier cette phrase avec des éléments qui ne peuvent pas être naturalistes. Et c’est là où on revient au texte, aux trois mois de lecture autour d’une table, aux répétitions avec les comédiens.


Objectif Cinéma 
: Peu de décorateurs passent du théâtre au cinéma.

Michel Vandestien : C’est vrai. J’ai fait deux ou trois films que je n’aimais pas du tout, en tant que chef décorateur - je disais que j’étais chef décorateur. C’est quoi prendre une feuille et mettre de la peinture ? Il faut aller au-delà. J’ai toujours abordé un film en me demandant : qu’est-ce que ce scénario me demande par rapport à l’acteur, à la progression dramaturgique ?

Disons qu’il y a deux façons de faire des décors de film. Soit un personnage est issu d’un milieu, d’une époque, donc il s’agit de donner du vécu au décor comme aux costumes. Je parle ici de sens et non de scénographie. Ou alors c’est plus ludique, le décor est une machine à jouer, plus direct dans ses espaces, dans sa lumière, et là on est plus proche du théâtre.