Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     


 

 

 

 

 
  Robert Guediguian (c) D.R.

Objectif Cinéma : Vous êtes le décorateur de Robert Guédiguian depuis son premier film...

Michel Vandestien : Dans la compagnie de La salamandre il y avait un jeune comédien, Pierre Ascaride. Un soir, c’était en 76, sa sœur Ariane et son mari assistent à une représentation. Il vient me voir ensuite et me dit : « je vais bientôt faire du cinéma, tu seras mon décorateur à vie ». C’était Robert Guédiguian, et il m’a effectivement appelé deux ans plus tard.


Objectif Cinéma : Dans son cinéma, l’intervention du  décorateur n’est pas toujours perceptible au spectateur lambda.

Michel Vandestien : Guédiguian fait des films « naturalistes », des contes. Le travail consiste à ordonner la réalité. Je n’aime pas le mot réalisme dans le cinéma. A partir du moment où il y a une caméra, il n’y a plus de réel. C’est une invention, il y a les focales, ou du noir et blanc, la musique…

En tant que décorateur - le terme italien scénographe est plus juste - je me considère comme assistant du metteur en scène. Je suis le film de A à Z. Les repérages sont très importants. Je trouve aberrant de les confier à des régisseurs ou à des assistants. Guédiguian est un des rares à être d’accord sur ce point. J’ai fait aussi des repérages avec Carax, pour trouver des similitudes, une continuité entre les extérieurs et les décors en studio. Avec Guédiguian, il m’est même arrivé de participer au casting du chef opérateur, en cherchant une affinité avec le projet.


Les Amants du Pont-Neuf (c) D.R.

Objectif Cinéma : Quelle est l’exigence de Robert Guédiguian par rapport au décor ?

Michel Vandestien : Il tourne toujours à Marseille. Ou alors on triche un peu, on dit que c’est Marseille alors que c’est Martigues. C’est comme sa plume d’écrivain, c’est sa langue et il est légitime que cette ville soit toujours son décor. Et c’est toujours en décors dits naturels, on a recours au studio seulement quand on ne trouve pas ce qu’on veut.

A Marseille, il recherche les endroits, les lieux justes. Ce qu’on va en extirper, rajouter ou enlever, pour donner du sens, pour situer les personnages dans leur milieu. Guédiguian tient beaucoup à ce coté révélateur du décor. Il doit toujours être socialement en amont des personnages. Il faut que les personnages aient un passé au début du film. C’est aussi pour ça qu’il prend des acteurs issus comme lui de milieu ouvrier. C’est le cas de Gérard Meylan, d’Ariane, de Jean-Pierre Darroussin.


Objectif Cinéma : Aujourd’hui, ses acteurs ont tous la quarantaine, et déjà une vie, un vécu derrière eux...

Michel Vandestien : Parce qu’il est fidèle à ses amis, tout simplement. Il a commencé avec eux il y a 25 ans, alors qu’ils faisaient le conservatoire. Mais Robert me pousse toujours à embaucher des gens jeunes. C’est ce que je recherche aussi, comme pour assurer la relève. D’ailleurs, il me dit sans arrêt que je suis trop vieux pour faire ce métier (rires).


  Leos Carax (c) D.R.

Objectif Cinéma : En schématisant, il y a deux écoles dans votre filmographie : des films naturalistes et d’autres plus stylisés.

Michel Vandestien : Ils racontent toujours des histoires qui me plaisent. Des histoires où je me reconnais, des personnages qui montrent une vérité, une part de notre vie. Cela passe par une sensibilité et aussi une certaine vision politique. C’est donc une question d’affinités, pas d’école esthétique. Ca peut être très vaste dans le genre, mais on raconte toujours les mêmes histoires.


Objectif Cinéma : Mauvais sang est un film très stylisé, en particulier dans le traitement des couleurs. D’où vient ce parti pris ?

Michel Vandestien : Carax est quelqu’un qui n’arrive pas à visualiser ce qu’il écrit. Je pense que visuellement il n’avait pas son film dans la tête. Mais il tenait à tourner en studio pour tout inventer. Donc ça passait par le décor, par la photographie. Il y a eu une très longue préparation, et j’ai fait de nombreuses maquettes en volume.

Carax devait avoir dans les 24 ans à l’époque, il voulait un univers très stylisé et proche de la bande dessinée. Il me montrait les vieilles éditions de Tintin, les à-plats de couleurs sur papier pelure. Mon rapport à la peinture est très important, je lui parlais de Poliakoff, Matisse, ce qu’est un bleu, un rouge, un noir…Et aussi avec Jean-Yves Escoffier, le chef opérateur.

Mauvais Sang est très formel, peut-être un peu trop esthétisant. Tout y est très dessiné, chaque chose a une place très définie. Y compris dans sa couleur, car on ne peut pas détacher une forme de sa matière.