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Objectif Cinéma :
Il vous fallait trouver des formes et des couleurs en accord
avec l’histoire. Les personnages vivent quelque chose de fort,
d’excessif...
Michel Vandestien :
Oui, d’ultime. C’est sa traduction de la vie, qui n’est pas
tout à fait la mienne. Il y a un coté inéluctable, comme dans
certains films noirs américains. Contrairement à un western
de John Ford, ou la porte peut rester ouverte. Il y a un désespoir
dans ce que raconte Carax, et là je peux être d’accord avec
lui. Il n’y a jamais d’issue, ou alors très brève. C’est sans
doute pour ça que ses décors sont très statiques. Beaucoup
de verticales et d’horizontales, pas de mouvements.
Objectif Cinéma :
On a beaucoup parlé des Amants du Pont-Neuf, du choix
de construire le décor en extérieurs, et dans sa totalité.
Michel Vandestien :
La question était d’abord : comment faire un pareil décor ?
Comment traiter un paysage qui fait en réalité 3 km de long ?
Carax avait consulté pas mal de décorateurs. Des jeunes, mais
surtout des décorateurs âgés. Trauner lui avait dit de tout
faire en studio. Max Douy (1) : « Voilà comment on fait
du cinéma : il faut un bout de pont en studio, raccorder
sur les plans larges à Paris, et compléter en incrust ».
Donc, mettre tous les outils du cinéma au service du film.
Léos ne supporte pas ça, il veut shooter partout et quand
il veut, mettre ses comédiens en situation. Pour lui, pas
question de les faire jouer sur un fond bleu.
Bloquer le vrai Pont-neuf revient à fermer une autoroute.
C’était possible en août pour quelques heures par jour, mais
hors de question pendant la nuit. On a alors décidé de construire
un décor en extérieur pour les scènes nocturnes. Puis il y
a eu l’accident de Denis Lavant, et ce décor devenait un décor
de jour, plus long, plus détaillé, et plus cher.
On s’est mis à la recherche d’un terrain, d’un climat, d’un
accès facile et en évitant d’avoir des pylônes ou des montagnes
qui apparaissent dans le champ. Finalement, un terrain a été
trouvé entre Nîmes et Montpellier. Il a été occupé dans sa
totalité, le décor lui-même faisait 470m sur 340m (d’une rive
à l’autre).
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Objectif Cinéma :
A partir du moment où la
décision a été prise de tourner de jour en extérieurs, qu’est-ce
qui a été convenu avec la mise en scène et la lumière ?
Michel Vandestien :
J’ai décidé de faire un décor à 360°. Avec un point de vue
unique, tu peux faire une accélération de perspective. Si
on a un travelling latéral, un panoramique, la perspective
est vite dénoncée. Alors j’ai multiplié les points de fuite,
et à chacun, je faisais une transition en cachant avec des
avant-plans, des arbres. C’était empirique, mais ça fonctionnait.
Au départ, la caméra devait rester sur le pont. Quand Carax
a décidé de descendre sur le square du Vert-galant, on a
dû rapidement habiller quelques arches du pont. On a même
caché des échafaudages en mettant des tonneaux près de la
caméra. Ça a fait beaucoup rire Carax.
La circulation des voitures sur le quai n’était pas prévue
non plus. Ni sur le pont. Un jour, Léos me dit « Maintenant
c’est Noël, le pont s’ouvre à la circulation ». Là,
j’ai eu peur. Il fallait descendait sous le pont 3 fois
par jour pour surveiller la structure.
Objectif Cinéma :
On perçoit la différence
de lumière entre le sud et Paris, cela donne un aspect conte
de fée
Michel Vandestien :
Bien sûr, ce ne sont pas les mêmes ciels qu’à Paris. Je
trouve que c’est un apport, le décor en est théâtralisé.
Il y avait même des vols de cigognes sur la Seine. L’eau
non plus n’a pas la même couleur, puisqu’elle reflète la
lumière du ciel.
Le décor à Montpellier a joué de jour comme de nuit. Finalement,
les scènes tournées sur le vrai pont qui sont restées dans
le film sont surtout des scènes de nuit. Les lumières, les
feux d’artifice… théâtralisent la Seine, la ville, en font
un décor. Et ça a fait l’unité avec les scènes sur le décor
construit.