Objectif Cinéma
: Les personnages principaux
de vos deux longs-métrages sont des femmes : serez-vous
un réalisateur, comme Mizoguchi, qui explorera l'univers
des femmes ?
Satoshi Kon:
(rires nerveux de l'équipe) Ah bon ? Non, non,
je ne me suis pas fixé ce programme, ni cet itinéraire.
Il existe en général une contrainte importante
dans le milieu de l’anime, qui compte un public masculin important,
notamment des jeunes garçons, c'est celle d'avoir un
personnage principal féminin, une héroïne.
Pour des raisons de production, je me suis plié à
cette condition, tout en essayant dans mes deux films, de
jouer sur l'identité de cette héroïne,
en espérant attirer un autre public. Mais mon prochain
film ne suit plus cette règle.
Objectif
Cinéma : Votre scénario
est l'un des plus ambitieux du cinéma japonais cette
année, croyez-vous qu'il sera possible un jour de tourner
un tel film en live, au Japon ? Pensez-vous que le public
étranger a la nostalgie des grands films à costumes
du Japon ?
Satoshi Kon : Périodiquement,
le cinéma japonais s’est risqué à faire
des films à costumes d'époque ces dernières
années. On a vu des scénarios d'Akira Kurosawa
adaptés récemment, un film de Kon Ichikawa,
ou encore des choses un peu plus fantastiques... Mais je doute
qu'un studio investisse dans une version live de Chiyoko,
compte tenu de la quantité de décors, costumes,
etc. Je crois qu'une partie du public étranger souhaiterait
que le Japon n'abandonne pas les jidai geki (films historiques).
Lorsque j'ai montré Chiyoko dans des festivals
à l'étranger, on a beaucoup commenté
le travail sur les costumes. (S.Kon se lève une
troisième fois et revient avec des livres sur les kimonos
: les époques, les styles, comment les porter, les
détails des broderies, sur le kimono, et sur l'obi/la
ceinture). Nous nous sommes appuyés sur ce genre
de livres pour dessiner les costumes du film, par exemple,
dans la partie ninja, lorsque Chiyoko porte un chapeau couvert
d'un voile qui tombe aux chevilles, nous pensions à
ce qu'elle portait en dessous. Il est pratiquement impossible
de trouver ce genre de livre aujourd'hui en librairie. Nous
avons dû les emprunter à la bibliothèque.
Regardez les détails, c'est sublime. Auparavant, nous
ignorions combien de couches, selon les ères, se trouvaient
sous les kimonos.
Objectif Cinéma : Ce
sont des livres de bibliothèque ?
Satoshi Kon : Oui.
Objectif Cinéma : Mais
ça fait presque une année que le film est terminé.
L'amende pour le retard du livre sera salée...
Satoshi Kon : Je n'ose plus
y retourner !
Objectif
Cinéma : Chiyokoétait vraiment une fresque
du 20ème siècle au Japon. Comment allez-vous
traiter votre prochain film, Tokyo Godfathers ? Pouvez-vous
parler un peu de l'histoire ? Ferez-vous le passage vers le
live un jour?
Satoshi Kon : Tokyo Godfathers
est un film contemporain, qui se situe dans le quartier de
Shinjuku, au cœur d'une des communautés de sans abris
de Tokyo. Le film racontera l'histoire de 3 hommes, plutôt
gay, qui découvrent une enfant le soir de Noël.
Comme un miracle. Des rois mages... Ces hommes, qui ont choisi
de se couper du monde, de la société, comme
c'est très souvent le cas chez les sans abris de Tokyo,
vont tenter de retrouver la famille de ce bébé.
Au cours de leur quête, ils découvriront des
choses sur eux-mêmes, sur leur amitié, leur rapport
à la cité, etc. (S.Kon se lève une
quatrième fois et m'invite à le suivre. Sur
une station Powermac G4, il me montre des séquences,
encore au crayon, de Tokyo Godathers). Chiyoko
était une femme de culture, sophistiquée, élégante.
Ces parrains de Tokyo sont tout le contraire, expansifs, excessifs,
sentimentaux, brusques... Chiyoko parlait du Japon
au 20ème siècle en un après-midi avec
le producteur Tachibana. Cette fois, l'histoire se déroule
chronologiquement sur un peu plus d'une semaine. Pas d'héroïne
comme dans mes deux autres films, sauf le bébé...
Il devrait sortir en novembre 2003. Pour le live, on me pose
de plus en plus la question. Je n'y ai jamais pensé
sérieusement. C'est un passage difficile pour les réalisateurs
d'animation que de passer au live, ce n'est pas toujours réussi.
Mais je vous avoue aujourd'hui que l'envie existe.