DIMITRI
STOROGE Acteur dans Ni pour ni contre
(bien au contraire)
Entretien
réalisé
le 21 mars 2003 à Paris
Par Bernard PAYEN
Photos de Safia BENHAÏM
Remerciements à Guillaume VIAL
DIMITRI, FROM PARIS : Portrait
de l'acteur en jeune fauve
On découvre Dimitri Storoge
dans Ni pour ni contre (bien au contraire), le nouveau
film de Cédric Klapisch. Loulou, le jeune chien survolté qu’il
interprète, naît en équilibre sur la terrasse d’un immeuble,
presque dégingandé, le sourire carnassier, le regard inquiétant.
Il est le cadet de cette équipe de gangsters drôles et menaçants
(incarnés par Vincent Elbaz, Simon Abkarian, Zinedine Soualem)
qui adoptent en leur sein une jeune reporter (Marie Gillain)
pour filmer leurs casses.
« Dépouiller une vieille ou casser la banque de France,
il est toujours à fond, le jeune con ! ! »
lance à Loulou un de ses compagnons de route. Toujours sur la
brèche pour dragouiller dans un night-club ou donner un coup
de boule à un passant, Loulou est un petit bloc d’impulsivité
incontrôlable, une grenade qui se dégoupille sans cesse, balançant
à tout moment une vanne drôle (très souvent hors champ) distillant
ou imposant sa présence en permanence.
Loulou, c’est le premier vrai rôle au cinéma de Dimitri Storoge,
comédien de 25 ans, passé par les voies du cours Florent et
du Conservatoire, dont la silhouette a déjà traversé quelques
courts et longs-métrages (notamment FrankSpadone
de Richard Bean, où il jouait un réceptionniste imperturbable).
Dans Ni pour ni contre…, on
est frappé d’emblée par son jeu animal, félin, faussement déstructuré,
totalement contrôlé. Loulou est de ces rôles qui poussent facilement
l’acteur à la caricature. Dimitri Storoge s’en empare au contraire
avec une justesse sidérante. Au bout du compte, Loulou, adolescent
à la destinée tragique, est fait d’une humanité à fleur de peau.
En rencontrant Dimitri Storoge, on se dit que le comédien n’est
finalement pas si éloigné de son personnage. En apparence, bien
sûr, peu de similitudes entre la boule de nervosité sèche de
Loulou et le calme très altier de Dimitri. Mais, plus profondément,
on se dit que des réminiscences d’enfance les unissent. Loulou
crèvera de son insouciance, il touche par son incapacité à contrôler
ses pulsions désordonnées. Dimitri, au seuil d’une carrière
qu’on a envie de lui promettre longue et belle, semble n’avoir
rien perdu de cet état de rêverie poétique si particulier de
l’enfance qui rend indestructible les convictions les plus intimes.
Mieux, être acteur ne semble pas relever pour lui d’une posture
mais bien d’une nécessité. Aucune trace de désinvolture dans
ses envies, ses gestes ou ses paroles, mais la foi secrète,
humble, presque invisible en un métier d’amuseur envisagé
avec sérieux.
Difficile de cerner le garçon au terme d’un entretien d’une
heure et demie. A la question de savoir qui est vraiment Dimitri
Storoge, on répondra : une aisance, de riches silences,
un visage changeant, une acuité du regard, une inquiétude souvent
désamorcée par des sourires, un mystère…
Objectif Cinéma
: Comment appréhendes-tu
la notion de jeu « instinctif » au cinéma ?
Dimitri Storoge :
Je n’ai jamais très bien saisi la différence que l’on pouvait
faire entre un acteur instinctif et un acteur dit intellectuel,
ou tout au moins plus réfléchi. J’essaye de faire en sorte
que ces deux notions soient le plus possible interdépendantes.
Ton instinct se développe aussi avec ton cerveau. Il n’est
pas séparé de lui. Tu peux tirer très loin le fil de l’instinct,
mais il y a toujours un moment où il faut quand même réfléchir
un petit peu en amont. Séparer les deux formes de jeux revient
à les limiter. Et cela fait entrer le comédien dans une
case, celle d’un jeu instinctif ou cérébral. C’est une différence
que j’ai du mal à comprendre, car de toute façon, quand
tu veux « servir » un rôle, tu dois aller dans
le plus de directions possible, et te servir de nombreuses
« armes ».