UN REALISATEUR CUBAIN A CANNES
Enrique Colina est un
réalisateur cubain, jusque-là habitué aux documentaires, et
dont le film Entre deux cyclones / Entre Ciclones
(succès record à Cuba), vient d'être sélectionné à la Semaine
Internationale de la Critique à Cannes 2003. Entre Ciclones
décrit les trajectoires hésitantes d'un jeune homme cherchant
un nouvel appartement et une nouvelle vie après le passage
d'un cyclone. L'occasion de discuter avec Enrique Colina de
ce film et du cinéma cubain.
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Objectif
Cinéma : Vous avez été choisi
à la Semaine Internationale de la Critique à Cannes pour votre
film Entre Ciclones : qu'est-ce qui, selon vous,
a pu séduire la Sélection dans votre film ?
Enrique Colina : Peut-être
le caractère populaire et l'authenticité des personnages.
D'un autre côté, je crois que l'humour noir de l'histoire,
correspondant à un côté sombre de Cuba, peut séduire le public
européen qui désire voir une représentation plus nuancée de
la réalité sociale de l'île. Ce qui m'intéresse à titre personnel
dans cette Sélection, avec tout le respect que je dois au
Festival de Cannes, c'est surtout l'opportunité qu'elle représente
pour la distribution du film et la perspective de trouver
des financements pour mes projets en cours d'écriture. J'espère
pouvoir discuter ici de cinémas différents loin du cinéma
commercial yankee aux thèmes aliénants et réducteurs. (1)
Objectif Cinéma :
Comment vous est venue l'idée de réaliser ce film ?
Enrique Colina : C'est un projet auquel je pensais
depuis les années 90 en pleine crise économique entraînée
par la chute de l'Union Soviétique, tout en montrant également
comment un cyclone pouvait bouleverser nos modes de vie et
de développement. L'économie paralysée, nous avons fini par
promouvoir le tourisme, la circulation légale du dollar, les
entreprises mixtes, la petite économie privée, etc. S'ensuivit
un gouffre entre ceux qui avaient le dollar et ceux qui ne
l'avaient pas, menant hélas à une inflation de la marginalisation,
du marché noir, de la prostitution, etc. Dans ce contexte,
je m'inquiétais de l'avenir de la jeunesse et de leur insertion
sociale dans un pays où l'on voulait l'égalité, la justice
et l'éthique comme moteurs de perfectionnement pour l'émergence
d'un prétendu « homme nouveau », modèle des vertus humanistes.
De là, l'envie de réaliser un film sur un jeune anti-héros
confronté aux problèmes élémentaires de son existence quotidienne
au milieu de cette société précaire et ambiguë. Et la métaphore
des cyclones est venue d'un constat : notre destin est de
vivre entre deux cyclones, celui qui détruit pour que l'on
se reconstruise et celui qui revient nous submerger définitivement.
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Objectif
Cinéma : Le protagoniste
principal de votre film hésite entre l'abandon et l'action,
qu'est-ce qui vous séduisait dans ce personnage ?
Enrique Colina : Son absence
définitive de détermination et d'objectif général. Grave problème
dramatique par ailleurs. Tout protagoniste doit aimer quelqu'un
en général. Par contre, quand les gens vivent sans but défini
dans la vie, c'est plus dur. Mais moi j'aime les personnages
un peu perdus et inarticulés dans leurs propos. La vie les
a freiné comme un courant fort dans une rivière. C'est une
sorte de provocation dramaturgique, anti-héroïque, qui comprend
une grande part d'humanité conforme à l'argile avec laquelle
nous voulions travailler. Ce personnage est capable en un
instant de réagir comme un géant, mais seulement une seule
fois.
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