Car pour nous, il s’agissait de vérifier,
notamment en termes d’impact public, l’importance cinématographique
du documentaire, sa capacité à “ tenir ” la salle.
Peu à peu, je crois que nous sommes en train d’y arriver. Avant
les années 1980, le documentaire avait certes sa place sur les
toiles, mais uniquement en tant que complément de programme,
à côté d’une fiction qui était le film phare de la séance. Aujourd’hui,
il est désormais assez courant qu’un documentaire soit proposé
comme film principal. Le succès d’œuvres comme Être ou avoir
(2002), de Nicolas Philibert, est plutôt rassurant en ce sens.
Pour notre part, nous enregistrons une augmentation régulière
de la fréquentation de nos programmations : 152 spectateurs
en moyenne chaque dimanche au Cinéma des cinéastes (Paris XVII),
soit presque 60 spectateurs à chaque séance, ce qui n’est déjà
pas si mal. Et nous avons accumulé un catalogue de plus de 150
films que nous proposons à la location à diverses salles en
régions.
A ceci, il faut toutefois
retenir deux bémols. D’une part, le documentaire reste très
souvent dépendant d’un pré-achat télévisuel, sans lequel une
production ambitieuse ne peut pratiquement pas voir le jour.
D’autre part, je suis bien consciente que les documentaires
qui attirent du public aujourd’hui le font en vertu de leur
valeur d’actualité plus que cinématographique. Même si ce
sont des très bons films par ailleurs, Être ou avoir
ou Bowling for Columbine (2002) de Michael Moore sont
sortis à des moments où la crise de l’école publique en France,
l’inquiétude face aux ventes d’armes aux Etats-Unis, étaient
des sujets vivement débattus dans ces sociétés.
Objectif
Cinéma : Et maintenant ?
Simone Vannier :
Depuis deux ou trois ans, nous essayons de fonctionner par
programmations thématiques. Les dernières d’entre elles, “ La
lettre au cinéma ” (automne 2001), “ Quêtes d’identité ”
(printemps 2002), “ Question de regards ” (automne
2002) ou “ L’esprit des lieux ” (printemps 2003),
alternent interrogation sur la société et réflexion formelle.
Mais en fait, bien sûr, les deux sont liées. Et c’est d’ailleurs
notre désir.
Le documentaire, en effet,
témoigne sur la société. Les documentaristes sont des plaques
sensibles. Ils parlent de ce qui ne va pas, ils traitent
de la réalité telles qu’ils la voient. Nos programmations
sont donc tributaires de ce qui existe, ce sont aussi les
œuvres qui nous entraînent à choisir certains axes. Ceci
dit, le documentaire joue un rôle social puisqu’il présente
au spectateur la vision du monde d’un auteur. Or cette vision
est une proposition qui est discutable, comme toute proposition.
C’est une porte ouverte à la discussion, à la prise de conscience
par le spectateur, qui n’a pas forcément de visibilité sur
tout.
De là l’idée que le documentaire est aujourd’hui le point
de départ idéal d’un débat. Non d’un débat exclusivement
formel sur la manière de filmer, auxquels nous assistons
si souvent après chacune de nos séances. Ni d’un débat exclusivement
d’actualité, comme ceux que nous avons suscité - et
c’est d’ailleurs très bien - au terme de nos séances
sur le statut du travail dans nos sociétés ou sur le conflit
israélo-palestinien. Pour ma part, je rêve plutôt de grands
forums de société et de cinéma, les deux à la fois, à la
fin de nos journées de programmation. Là, le débat pourrait
porter sur ce qui me semble être la plus grande potentialité
du documentaire : le documentaire en tant que mode
de représentation du monde, notamment par rapport à ses
concurrents médiatiques ou fictionnels. Et je reste persuadée
que c’est en incitant le public à cette réflexion sur le
documentaire qu’on le fidélisera.