Objectif Cinéma :
On voit aussi sur les écrans
un nombre impressionnant de documentaires, comparé au nombre
de films qui sortent en salles chaque année.
Pedro Butcher :C’est un phénomène presque inexplicable.
On remarque cependant que la création de Riofilme (1993),
distributeur de films brésiliens, par la préfecture de Rio
de Janeiro, a permis cette production importante de documentaires.
Elle est d’une certaine manière une toute petite Embrafilme.
L’un de ces directeurs a été José Carlos Avellar, critique
de cinéma, dont le rôle a été essentiel : il a permis
au cinéma brésilien de sortir dans les salles, d’être diffusé
à l’étranger (dans les festivals notamment), et enfin d’encourager
la production de documentaires. Il a aussi encouragé les salles
de cinéma à diffuser des films brésiliens en les aidant financièrement.
Le documentaire a été particulièrement bien aidé en raison
du goût de José Carlos Avellar pour ce format, ce qui a créé
une nouvelle culture. Au départ, il y avait peu de spectateurs
par rapport à l’investissement de Riofilme. Mais aujourd’hui
les documentaires ont plus de succès en salles que la majeure
partie des films de fiction ; c’est le cas de Janela
de Alma avec 130 000 spectateurs. Eduardo Coutinho réalise
à nouveau des films après une longue absence, tous produits
par Videofilmes de Walter Salles. Tous ces succès documentaires
ont permis de créer un capital unique pour le cinéma brésilien.
Par exemple, lorsque Walter Salles a négocié avec Miramax
la production d’Abril despedaçado (2002), il a inclus
dans la négociation le film Cidade de Deus que Miramax
ne voulait pas au départ. Maintenant il tourne Diarios
da motocicleta, avec des fonds américains, et c’est un
film latino en espagnol, avec des acteurs sud-américains et
Walter Salles a le final cut.
Objectif Cinéma :
Un des problèmes récurrents
au Brésil reste la formation…
Pedro Butcher :Durant la période de crise du cinéma
brésilien il s’est passé un phénomène très intéressant, le
marché publicitaire au Brésil a littéralement explosé et est
devenu l’un des marchés les plus puissants du monde. Chaque
année, dans les différents festivals de pub, les sociétés
brésiliennes gagnent des prix. Il existe une grande qualité
dans les productions pub au Brésil. De plus, les coûts étant
faibles, de nombreuses sociétés étrangères viennent filmer
au Brésil. Il existe une loi qui oblige qu’une partie de l’équipe
soit brésilienne. Il s’est donc maintenu une qualité technique,
car les techniciens du cinéma travaillent aussi dans la publicité.
Le problème est que le coût des films a beaucoup augmenté
en raison notamment des salaires à verser aux techniciens
habitués à ceux de la pub. Le Brésil possède une tradition
de photographe de haut niveau, dont Walter Carvalho et Affonso
Beato (qui a tourné avec Pedro Almodovar Carne trêmula
et Todo sobre mi madre). La principale difficulté est
la finalisation. Tous les films sont terminés à l’étranger.
Aujourd’hui, n’importe quelle production indépendante chinoise
a un son spectaculaire et c’est un domaine où le Brésil fait
défaut. Il manque de techniciens appropriés (mixage, finalisation,
etc.).
Objectif Cinéma : Quelle est la situation de la critique
au Brésil. Existe-t-elle ?
Pedro Butcher : Le Brésil n’a pas une tradition critique
très forte, mais il possède quelques critiques très importants :
Glauber Rocha, avec Revisão critica do cinema brasileiro
qui est fondamental, Paulo Emile Salles Gomes, Alex Viany,
etc. Il y a beaucoup de professionnels mais pas de pensée
cinématographique. A chaque fois qu’une revue de cinéma a
été publiée, elle a été arrêtée quelques temps après pour
faute de rendement, il n’y a pas assez de lecteurs. C’est
difficile avec 90 % de films américains en salles, il manque
de diversité pour organiser un débat. La critique est présente
uniquement dans les quotidiens. Demeurent quelques tentatives
comme CineMais qui est publié tous les semestres, qui s’était
arrêtée un temps et qui va être à nouveau publiée. Les problèmes
de la critique viennent des problèmes de la distribution,
de la formation du public, il n’y a plus de ciné-club par
exemple.
Objectif Cinéma :
Quant à la cinémathèque, seule
maintenant fonctionne celle de São Paulo, depuis que celle
de Rio a fermé : c’est un problème supplémentaire.
Pedro Butcher : Je
fais partie de la dernière génération qui a connu un ciné-club,
celui d’Estação Botafogo qui est devenu distributeur. Avec
aussi l’arrivée de la vidéo, ça a mis fin aux quelques ciné-club
qui existaient encore. Je suis en ce moment en train de relire
Ponte clandestina de José Carlos Avellar où il parle
de la manière dont les cinéastes du Cinéma Novo ont fait passer
à travers leurs films une pensée critique. Un peu comme l’a
été la Nouvelle Vague, le Cinema Novo est une critique, une
pensée.