Entretien
réalisé le 3 juillet 2003
par Matthieu CHEREAU et Nicolas RICHARD
Nous avons voulu rencontrer Serge Bozon car Mods nous
est apparu comme un film atypique dans le panorama du cinéma
français de ces dernières années. Atypique, le film de Serge
Bozon l’est par l’utilisation fétichiste d’un certain type de
rock américain (le « garage ») et par sa filiation
avec une lignée souterraine de cinéastes français. Film hybride
traversé par des scènes de danses aux chorégraphies minimales,
Mods n’est ni tout à fait une comédie musicale ni, à
proprement parler, un film sur un courant musical. La convocation
de figures préexistantes issues d’un imaginaire romanesque et
cinématographique collectif (un campus, une gouvernante sévère,
deux frères militaires, un jeune homme souffrant d’une maladie
inconnue) rend le film familier, mais cette impression de reconnaissance
cède le pas à une étrangeté fondamentale. La contingence de
cet univers devient vite une mystérieuse nécessité et c’est
dans le désistement ou l’inaction de certains personnages, en
particulier le groupe d’étudiants « mods », qu’adviennent
les événements et l’humour distancié. Tous les soirs on sort
sur la terrasse et l’on discute avec une professeur d’économie
politique d’âge mûr. Chaque matin on se rend à la cafétéria
de l’université et l’on dérange la serveuse plongée dans une
absorbante lecture. Beaucoup de choses se répètent dans Mods,
la première fois ne sert à rien, mais si elle n’existait pas,
on ne pourrait pas en parler lors de la deuxième. L’intérêt
réside donc dans cette évocation du passage de la première à
la deuxième fois car comme le dit l’étudiante à la fin du film
« Il faut toujours tout expliquer deux fois aux garçons
». On pense alors à Jean Eustache, cinéaste de la répétition
et du double, qui travaille ce rapport entre original et imitation,
entre première et deuxième fois. Jean-Pierre Léaud dans La
Maman et la Putain parlait de la nécessité de poser un lapin
au premier rendez-vous pour avoir un sujet de conversation au
deuxième. Nous n’avons pas eu besoin de cela quand nous avons
rencontré Serge Bozon dans un café près de la Place d’Italie.
Objectif Cinéma :
Quelle est votre famille en
cinéma ?
Serge Bozon :
Il y a les cinéastes que j’adore, les mac-mahoniens, Raoul
Walsh, Fritz Lang, Otto Preminger, Howard Hawks, Samuel Fuller,
Leo McCarey, Jacques Tourneur, Nicholas Ray… Mais je serais
bien incapable de penser qu’ils ont une influence très nette
et directe sur ce que je fais, ne serait-ce que par le mode
de production, le rapport au public et au cinéma de genre.
Mon cinéma est plus influencé par Jean-Claude Biette, Pierre
Zucca, Jean-Claude Guiguet, Pierre Léon, Paul Vecchiali, Marie-Claude
Treilhou. Ces cinéastes que j’apprécie viennent après la Nouvelle
Vague, je les ai découverts en arrivant à Paris. Ils ne sont
pas allés vers une sorte de modernité spectaculaire qui passe
par une sur-politisation mais ont conservé un grand goût pour
l’intrigue dans ce que ça peut avoir de mineur, de prosaïque :
des personnages au comportement loufoque, des petits secrets,
des récits aux pistes multiples qui ne sont pas nécessairement
suivies jusqu’au bout. Ils ont ce goût pour une narration
à la fois ténue et artisanale, pour le romanesque du XIXe
siècle. On trouve chez eux une grande liberté de ton dans
les dialogues et une forme d’humour très particulière. Dans
les films de Biette ou de Zucca, on peut voir des rapports
avec la série B, avec Jacques Tourneur par exemple.
Objectif Cinéma :
Il y a toujours ce grand écart entre le cinéma qu’on aime
et celui qu’on fait.
Serge Bozon :
Le rapport en France au cinéma américain ne peut être fait
que de manière indirecte ; Serge Daney parle chez Rohmer
de la notion de trajectoire morale qu’on retrouve dans le
cinéma de Hawks. Quand c’est fait de manière plus directe
par des cinéastes comme Alain Corneau ou Tavernier, ça ne
donne pas pour moi des films très intéressants.