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Objectif Cinéma :
Dans le cinéma des mac-mahoniens,
le corps de l’acteur est au centre du film et agence le monde,
alors que dans votre film, Mods, la mise en scène est
figée, les personnages sont dans la pose.
Serge Bozon : Oui,
il y a l’idée de pose dans le film. Par rapport à ce que sont
les vrais « mods », j’ai évacué tout ce qui me paraissait
illustratif, anecdotique, pour ne garder que la pose au sens
strict, au sens de « prendre la pose ». L’idée,
c’était que dans tout le film, les personnages prennent la
pose. Dans l’idée de pose, il y a ce mélange d’arrogance et
de désarroi. (Serge Bozon commande un diabolo grenadine.)
Je voulais faire résonner cette arrogance du rock, ce culte
de la distance, avec les scènes de danse où l’on essaie de
se rapprocher. Pour ce qui est de la mise en scène, je préfère
les choses où la caméra bouge peu avec un souci de la composition
du plan. Je voulais garder une raideur transie, des gens dont
la fantaisie ne passe pas par un miroitement pittoresque mais
par un passage à l’acte forcé. Le médecin, interprété par
Laurent Talon ou Benjamin Esdraffo, le mods dont la
voix part dans les aigus, sont des personnages dont le comique
tient au fait qu’ils forcent leur propre passage à l’acte.
De toute façon, je n’aime pas le jeu naturaliste du cinéma
français, je préfère quand c’est stylisé. J’aime bien cette
raideur, cette diction un peu appuyée qu’on trouve chez certains
acteurs. La plupart des acteurs dans Mods ne sont pas
professionnels. La timidité, en général, accentue cette raideur
que je recherchais.
Objectif Cinéma : De
quelle manière avez-vous travaillé avec Axelle Ropert, la
scénariste ?
Serge Bozon : Axelle
Ropert joue Anna, la gouvernante dans le film. Elle avait
été la scénariste de mon précédent film, L’Amitié,
sorti en 1998. Pour être franc, je l’ai laissé faire, sauf
pour certains dialogues. Je me suis occupé le plus tard possible
du scénario en réaction avec un précédent projet assez lourd
financièrement où l’on avait dû subir des dizaines de réunions
avec les producteurs et passer par des comités de lectures
pour arriver à quinze versions du scénario. Quitte à faire
un film dans des conditions un peu sauvages, je me suis dit
autant ne pas passer des heures sur le scénario. Travailler
à l’infini sur le scénario n’est pas quelque chose qui me
motive et qui m’intéresse. Le travail avec Axelle Ropert est
davantage passé par des discussions sur les films qu’on avait
vus que par des discussions « scène à scène » sur
le scénario.
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Objectif Cinéma :
Le film n’est pas seulement
irrigué par cette culture « mods » mais aussi par
une culture littéraire, au niveau des dialogues notamment,
avec un goût pour les aphorismes.
Serge Bozon : Disons
qu’on voulait croiser dans le film le punk sixties
et le roman du XIXe siècle. Ça peut paraître un
peu théorique, mais je voulais voir ce que ça pouvait donner.
Le roman du XIXe dans le film, c’est la gouvernante
qui est le centre caché du récit et qui fait tout circuler.
On trouve beaucoup ça dans les romans anglo-saxons. Mais il
faut distinguer deux types de romans : ceux dont ce centre
caché donne lieu à un pouvoir maléfique ou pervers, comme
chez Henry James, et ceux dont je suis plus proche dans le
film, écrits par des femmes, Daphné du Maurier par exemple,
où le personnage de la gouvernante circule dans le récit de
manière sévère et un peu effacée.
Le côté XIXe siècle dans le film c’est aussi cette
façon dont les gens affichent leur métier, les deux frères
militaires par exemple qui disent sans cesse : « On
est militaires, c’est notre métier. ». Le film est
parcouru lointainement par ces notions un peu désuètes de
vaillance et d’héroïsme. À la base, je ne voulais pas qu’on
puisse situer l’époque du film comme étant celle des années
60 ou celle des années 2000. Je voulais que l’époque ne soit
pas précisément repérable. Les « mods », bien sûr,
il y en avait beaucoup dans les années 60, mais il y en a
tout le temps. Il y en a eu beaucoup à la fin des années 70,
il y en a encore maintenant… Le simple fait que les gens s’habillent
années 60 ne veut pas dire que ça se passe dans les années
60.
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