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Mods (c) D.R.
Objectif Cinéma : Les chorégraphies étaient-elles prévues initialement dans le scénario ?

Serge Bozon : Oui, il était prévu qu’il y ait des scènes de danse mais on ne savait pas de quel ordre. C’est beaucoup passé par le travail de Julie Desprairies qui ne travaille jamais dans des espaces prévus pour la danse : des jardins publics, des usines, etc. J’avais vu certains de ses spectacles que j’avais adorés. Pour commencer à travailler, elle demande toujours à ses danseurs, dont la plupart ne sont pas professionnels, de partir des contraintes du lieu ; ensuite elle sélectionne et organise la chorégraphie.

Comme elle avait l’habitude de travailler avec des amateurs dans des endroits non dévolus traditionnellement à la danse, je me suis dit que ça pouvait apporter quelque chose au film. Je voulais que ça ressemble à des ébauches de scènes de danse, à quelque chose d’un peu maladroit étant donné l’aspect figé des personnages. En général, dans la comédie musicale hollywoodienne, que j’adore, les scènes de danse collective sont comme une sorte d’appel à l’euphorie, il y a comme ça une puissance de gaieté qui se dégage, tandis que dans le film, plus ça avance, plus les scènes de danses vont vers une sorte de prostration communicative. Les personnages s’écrasent peu à peu, deviennent des reptiles qui s’accrochent au mur. Mais on n’a jamais dit à Julie (Desprairies) : « pour telle scène de danse, il faut que ça soit triste ».


Objectif Cinéma : Votre film s’inscrit dans une mouvance du cinéma qui a à voir avec l’art contemporain.

Serge Bozon : Pour être sincère, je connais très peu l’art contemporain. J’ai fait de la danse quand j’étais jeune mais j’ai dû arrêter à cause de problèmes musculaires. Si le film n’a pas une forme narrative classique ce n’est pas chez moi un discours de principe qui serait un refus de la narration et des personnages classiques. En fait, je voudrais faire les films les plus classiques possible. C’est pour ce film-là que ça s’est imposé comme ça.

Mon film précédent était totalement différent, mon prochain le sera peut-être. J’aimerais faire des films sans parti-pris moderniste. En ce sens, je suis très différent des cinéastes liés à l’art contemporain.  Dans la revue à laquelle je collabore, La Lettre du cinéma, un cinéaste comme Vincent Dieutre, tout en se situant proche de l’art contemporain et de la vidéo, interroge cette notion de classique.


  Rock'N'Roll High School (c) D.R.
Objectif Cinéma : La musique du film s’est-elle imposée dès le début du projet ?

Serge Bozon : Oui. C’est une idée d’Axelle (Ropert). Depuis des années, je collectionne un certain type de musique dont celle-là, qu’on appelle le « garage ». Au début, j’étais un peu réticent à l’idée de l’utiliser dans un film parce que je connais très peu de films où l’utilisation du rock m’ait convaincu. Dans le cinéma américain actuel, en général c’est un saupoudrage de « hits » qui durent 15 secondes. Dans le cinéma français, le rock est peu utilisé. Au départ, comme c’est une musique un peu violente, j’avais peur que ça écrase le film. Peu à peu Axelle m’a convaincu que si on choisissait des chansons « garages » un peu tristes, un peu « amateur », ça irait avec la maladie du héros, sa prostration, l’atmosphère qu’on voulait rendre, et finalement avec le côté « amateur de pas mal de choses » dans le film.

Si j’avais utilisé la musique « mods », ça n’aurait pas été bien parce que c’est une musique beaucoup plus puissante, plus lourde, plus professionnelle, dans laquelle il n’y a pas à proprement parler de ballades. Dans la musique « mods » anglaise, il y a des reprises soul mid-tempo, il  y a du psychédélisme lent, des chroniques douces amères un peu ironiques à la Kinks, mais pas de ballades au sens de chansons d’amour tristes ; bien sûr, là, j’entends musique « mods » au sens strict, au sens historique du terme, c’est-à-dire pas les Beatles, mais les Who, les Kinks, les Small Faces… L’idée de l’utilisation du  «garage» m’a convaincu, même si dans le film il n’y a pas que des chansons tristes.