Personnalité inclassable, Shu Lea Cheang, cinéaste d’origine
taiwanaise, cohabite aujourd’hui avec l’oncle Sam et n’est
pas peu fière d’avoir signé le premier film «e-cul» de
l’histoire du cinéma, comprendre une fiction X étroitement
liée à Internet (le film fonctionne comme un site à part entière
dont nous sommes nous-même les webmasters). Depuis plusieurs
années, elle trimballe ses objectif-cinémas de festival en
festival et provoque, dérange, agace, amuse…
En adoptant la forme du film X avec de longues séquences bien
troublantes, Iku, son premier film à sortir chez nous,
tente d’en dire long sur un monde qui vit mal ses fantasmes.
Autant vous prévenir immédiatement : cet objet filmique non
identifié risque de vous mettre sens dessus-dessous. La cinéaste
vous explique pourquoi.
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Objectif Cinéma :
Comment vous est venue l’idée de
faire Iku ?
Shu Lea Cheang :
En fait, j’ai été invitée par Takashi
Asai (d’Uplink Co.) au Japon. Il m’a proposé de mettre en
scène un film X. L’idée de base était simple : réaliser un
film porno de facture classique avec plein d’ébats amoureux
banals. Ce n’est qu’après que j’ai pensé à rajouter des IKU,
des codes, du recyclage, tout cet empire porno et le thème
du marché du sexe. Progressivement, par assemblages, c’est
devenu le film.
Objectif Cinéma :
Vous donnez une image déshumanisée
et industrialisée du Japon d’aujourd’hui. Tous les êtres humains
semblent avoir des problèmes avec leur sexualité. Quelle est
votre conception de la sexualité et pensez-vous que nous vivons
dans un monde où il n’y a que du sexe et pas d’amour ?
Shu Lea Cheang :
L’amour et le sexe, la dissociation
entre les deux, voilà un débat si français ! (sourire).
Je ne suis pas en train de dire, contrairement à d’autres,
ou du moins de proposer, une vision de la vie où il n’a plus
d’amour. De la même façon, je me refuse à dire que je suggère
qu’il n’y ait pas d’amour quand le sexe fonctionne comme un
marché. L’amour peut surgir même entre deux personnes étrangères
où l’échange ne sera que sexuel et nullement oral, n’est-ce
pas ? Je pense que c’est plus honnête quand les gens réclament
du sexe et font apparaître la demande.
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Dans un film classique,
où une fille - ou un mec - fantasme sur un autre mec, un baiser
est désiré pendant tout le film. Dans un film X en revanche,
c’est plus direct : il n’y a pas d’attente, peut-être un peu
d’intrigue, genre quand le personnage du livreur de pizza
débarque [rires] mais ça va directement là où on sait.
Voir un monde où le sexe est géré comme un business, franchement,
je ne vois pas en quoi cela est mal… Je ne dis pas que les
« orgasm-data » (machine dans le film) remplaceront le plaisir
du « sexe réel ». Mais ça peut suffire pour un instant furtif.
Quand tu regardes la plupart des gens, tu te rends compte
qu’ils sont majoritairement frustrés sexuellement. Les artifices
sexuels comme les accessoires peuvent parfois être de bons
remèdes quand tu te sens mal dans ta peau, pour mieux t’épanouir
sexuellement...
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