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Les Corps impatients (c) D.R.

Objectif Cinéma : Ce que j'ai trouvé courageux dans votre film, qui sur le fond est un triangle amoureux plutôt classique, c'est de jouer la carte disons de l'antipathie devant la maladie. Cette force de ne pas rendre vos personnages attachants dans un contexte qui souvent l'exige.

Xavier Giannoli : En effet, c'était le problème de la compassion. Je ne voulais pas faire un film sur la consolation, qui entraîne généralement des enjeux mélodramatiques qui auraient été dangereux pour le film que je souhaitais faire. Une des questions que je me pose toujours en regardant les films, en tant que spectateur, c'est ce qu'ils font de moi en tant qu'être humain ; par exemple lorsque je regarde Taxi, je deviens un imbécile et quand je vois Code Inconnu de Haneke, je deviens perdu devant l'énigme du monde. Donc devant mon film, je souhaitais que le spectateur soit dans une position qui l'interroge, hors de la morale habituelle face à ce genre de drame humain. Passer par l'émotion des personnages et arriver vers des comportements qui nous semblent inacceptables. Ou difficiles, comme la rencontre entre la sensualité et la mort.


Objectif Cinéma : Votre récit se focalise sur le trajet du garçon, ses conflits, comment il arrive enfin à ce qui semble être une résolution, le besoin d'être dans la sensualité, l'intimité, la complicité, plutôt que de s'en exclure. Ce récit de trajet, c'est en général le moteur des films de Bresson que Pialat citait comme référence.

Xavier Giannoli : Oui, mais Pialat m'a souvent parlé de Bresson, ou de Mizoguchi qu'il admirait également, il m'en parlait comme un ébéniste aurait pu le faire, en passant la main sur une surface, signalant les scories. Il le faisait sans aucune inhibition. La question qu'il posait était « ça marche ou ça ne marche pas ? ». L'idée de prendre un sujet classique et de le dévaster. C'est ce qui fait qu'A Nos Amours est un chef d’œuvre, et La Boum... Mais A Nos Amours devient un chef d’œuvre à la lumière d'un film comme La Boum !

Pour continuer sur Maurice, je crois qu'il a fait tous ses films contre d'autres films, L'Enfance Nue était contre Les 400 Coups, Sous Le Soleil de Satan était contre Journal d'un Curé de Campagne. Le seul film à avoir échappé à cette règle fut Le Garçu, qui a un statut ambigu dans l’œuvre. Mon personnage masculin traverse quelque chose d'initiatique, qui touche à la sensualité, et au sexe, mais tout cela à partir d'une génération qui a lu Houellebecq, qui a vu les pornos à la télé, les diverses pubs, etc. Mais je voulais ramener quelque chose de violent, brutal dans cette représentation du sexe, éviter la complaisance, la facilité d'accéder aux corps. Quelque chose de plus tragique dans ces besoins de sexe.

  A nos amours (c) D.R.

Objectif Cinéma : C'est d'ailleurs un des intérêts du film, cette façon de montrer cette sensualité brutale, à la fois dans sa relation avec les deux jeunes femmes, et dans celle avec ses copains de foot, que vous filmez de façon complément différente, à la lumière du jour, camera à l'épaule, etc.

Xavier Giannoli : Cette séquence du foot, elle m'a donné du mal, j'avais peur de tomber dans le « clicheton auteuriste » à fond ; tous ses beaux mecs torses nus, en sueur... Mais j'ai fait le film aussi sur le mode de l'abandon, de l'instinctif, en tentant les choses. Je manquais un peu de confiance au début pour cette séquence, puis j'ai penché vers la peinture, en voulant faire quelque chose de vraiment plastique, dans la chronologie de leur jeu.  Puis cette part d’instinct s'est poursuivi tout le long du film, qui devenait peu à peu un documentaire sur les acteurs, et la façon dont ils évoluaient de scène en scène. J'étais donc beaucoup plus réactif face à eux que directif. Pour moi, l'improvisation c'est une grande forme de rigueur. Après avoir fait beaucoup de pubs et de courts-métrages, je voulais cette fois ne pas avoir d'a priori formaliste.


Objectif Cinéma : Aviez-vous vu Nicolas Duvauchelle dans Trouble Everyday de Claire Denis ?

Xavier Giannoli : Oui, c'est un comédien exceptionnel. Il est à l'opposé de moi, pas du tout cinéphile, mais une sensualité brute, une présence physique, pas du tout théâtrale. C'est lui qui a donné le ton aux autres acteurs. Il a une densité, une incandescence pure. Il devait l'avoir dans la réalisation d'actes immoraux commis dans le film. Il a quelque chose des acteurs américains, plus « dangereux » que beaucoup de jeunes comédiens français. Il n'a pas cette culture du cinéma ; on lui demandait dans une émission de télé quels étaient les acteurs qu'il admirait et il a répondu « j'sais pas... Brad Pitt ». Il est génial et j'espère, pas sûr encore, l'avoir dans mon prochain film.