Entretien
réalisé
le 15 novembre 2003
au Festival Int. de musique
de films d’Auxerre
Par Julie REMY
Né à Constantine en 1947,
le pianiste et compositeur Jean-Marie Sénia est un
des spécialistes de l'accompagnement musical des films
muets. Depuis sept ans, il accompagne notamment les films
de Ladislas Staréwitch (1882-1965), pionnier de l'animation
et père de la ciné-marionnette. Sénia,
que la petite-fille de Staréwitch décrit comme
son "fils musical spirituel", a composé la
bande originale des Contes de l'horloge magique, un ensemble
de trois courts métrages "reliftés"
sortis en salles le 10 décembre 2003."
La Petite chanteuse des rues raconte les aventures
d’une petite fille qui joue du limonaire dans les rues de
Paris, La Petite Parade s’inspire du conte de Hans
Christian Andersen Le Brave petit soldat de plomb,
et enfin le plat de résistance, L’horloge magique,
suit les rêveries d’une jeune fille dans un décor inspiré
des contes médiévaux et de l’amour courtois.
Ces trois films réalisés entre 1924 et 1928 étonnent par leur
modernité et l’inventivité des trucages qui donnent vie à
tout un monde de lutins, de jouets, de marionnettes et d’acteurs
humains (dont la propre fille de Staréwitch, Nina,
présente dans les trois films).
Le travail de Jean-Marie Sénia et de la quinzaine de musiciens
qui a interprété la bande sonore a été doublement primé au
Festival international Musique et Cinéma d'Auxerre,
où il a reçu le prix du public et le prix spécial du jury.
Jean-Marie Sénia a accepté de commenter avec nous l’ensemble
de sa carrière et d’expliquer sa vision du métier.
« Ma partition, c’est le film ! »
Objectif cinéma :
Est-ce que les courts métrages
de Staréwitch se prêtent bien à un accompagnement musical ?
Jean-Marie Sénia :
Ses films ont un tel rythme : il est évident que Staréwitch
aimait la musique. Sans arrêt, il la convoque sur les regards,
les gestes, la danse. La Petite chanteuse des rues s’ouvre
avec la musique du limonaire, mais au lieu de mettre directement
un limonaire, qui aurait fait vieillot, je voulais qu’il soit
raconté par l’accordéon d’Olivier Urbano. Ce thème ouvre la
trilogie et court tout le long de la bande son, avec l’accordéon
et le siffleur. L’accordéon raconte la rue, le vieux Paris qui
disparaît. Le siffleur a disparu aussi, à part dans la musique
d’Ennio Morricone. Je voulais qu’il y ait un siffleur en référence
au souffle, au supplément d’âme qu’il apporte. Pour moi, le
mélange de l’accordéon et du siffleur raconte l’esprit français.
Objectif Cinéma :
Et pourtant Staréwitch n’était
pas français…
Jean-Marie Sénia :
Il était lituanien, mais quand il est arrivé en France, il
est devenu ultra-français. Il a tourné La Petite chanteuse
des rues à Paris, il a mis une tour Eiffel dans La
Petite Parade… Il y a dans l’esprit français un humour,
une poésie, un côté incisif et élégant qui sont présents chez
Staréwitch ou Max Linder. Personnellement, je suis très attaché
à la culture de la chanson française qui va de la fin de la
Commune jusque dans les années 1930. Je n’arrête pas de me
dire français alors que je suis un métèque !