Entretien
réalisé
le 3 décembre 2003, à Paris
Par Bernard PAYEN
Remerciements chaleureux
à John MARTINEZ pour la traduction
S’il ne restait plus qu’un homme à
faire des films, seul à l’autre moitié du monde sur un confettis
de terre (allez au hasard, Winnipeg, Canada), ce serait peut-être
lui, Guy Maddin, « l’homme qui rêve », appelé aussi
cinéaste, mais pas trop, artisan plutôt, ou enfant pris dans
les rets d’un imaginaire sans cesse en mouvement.
On peut aujourd’hui, grâce à ED Distribution, voir ou revoir
ses films, longs et petits (The Dead Father, In the Heart
of the world, Tales from theGimli Hospital,
Careful, et surtout Archangel, son chef d’œuvre),
et plonger à chaque fois dans un univers inconnu et étrange,
nostalgique et futuriste.
Œuvre de commande construite à partir d’un ballet des danseurs
du Royal Winnipeg Ballet, cette version muette et chorégraphiée
de Dracula permet à Maddin d’aller plus loin dans la radicalité
de son cinéma et l’exploration de ses obsessions (la jalousie
en premier lieu).
L’HOMME QUI RÊVE
Objectif Cinéma :
Quelle a été l’origine de cette
version de Dracula ?
Guy Maddin :
Quand on m’a proposé le projet de Dracula, je n’avais
pas fait de longs-métrages depuis un moment, j’avais seulement
tourné Heart of the world, un court-métrage qui, pour
des raisons que je n’explique pas, a remporté de nombreux prix.
C’est alors que beaucoup de gens ont voulu travailler avec moi.
On m’a contacté pour filmer un ballet autour de Dracula interprété
par les danseurs du Royal Winnipeg Ballet. La productrice a
vendu l’idée à une chaîne de télévision. C’était une commande,
je n’avais pas vraiment envie de réaliser ce film, notamment
parce que je n’y connais rien en danse et que j’avais peur de
nuire au projet. J’ai refusé plusieurs fois pendant trois mois,
mais comme mon compte en banque était vide, j’ai finalement
accepté ! Je me suis dit que j’allais peut-être apprendre
à filmer un ballet ou au contraire à ne plus jamais en filmer
un ! Ce fut au bout du compte une bonne expérience.
Objectif Cinéma :
Vos précédents films avaient
déjà tous déjà, d’une certaine manière, une dimension chorégraphique…
Guy Maddin :
C’est vrai que j’ai toujours voulu avoir plus de mouvement
dans mes films. En regardant de près l’histoire du cinéma,
je me suis aperçu qu’un cinéaste comme Abel Gance avait l’habitude
de « jeter » sa caméra ou de faire des travellings
un peu fous, et j’avais envie à mon tour d’exploiter cette
façon de tourner. J’avais aussi toujours eu le désir de tourner
avec des danseurs qui ont une manière particulière de marcher,
de bouger et qui sont en fait de grands acteurs de cinéma
muet. C’est en revanche la danse elle-même que je ne voulais
pas filmer. J’ai finalement été très chanceux dans cette aventure,
j’ai appris beaucoup de choses, mais je ne pense pas que je
le referais demain pour autant ! Mais je me suis fait
quelques amis parmi les danseurs, ce qui est assez agréable.
Depuis Dracula, j’ai d’ailleurs retravaillé avec deux
danseurs de ce film pour deux autres projets.