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Dracula (c) D.R.
Objectif Cinéma : Qu’avez-vous appris en filmant la danse ?

Guy Maddin : Beaucoup de choses. Avant même de le filmer, ce projet m’a permis d’apprendre à lire un livre et à l’adapter. Dracula est le genre de film qui doit être tourné en noir et blanc, et le style assez fragmenté que j’ai adopté pour le montage convient à mon sens à la thématique et l’univers fantastique et onirique du sujet. Pour les danseurs, filmer leurs visages était nouveau car on ne les voit bien évidemment jamais en gros plan quand ils dansent sur scène. J’avais peur qu’ils me giflent à trop m’approcher d’eux, mais ils étaient ravis ! Filmer un ballet, c’est aussi chaotique que filmer un match de football. Les danseurs sont de véritables athlètes, j’avais l’impression d’être le manager d’une équipe de football. Ils étaient tous habitués depuis trois ans à interpréter ce ballet, et alors qu’habituellement je dois montrer aux acteurs ce qu’ils doivent faire, ce sont eux qui me m’ont montré ce que je devais filmer. La matière du film était là, je n’avais plus qu’à m’en emparer. Il était important que toute l’équipe ait conscience qu’on filmait aussi avant tout une histoire, la seule différence étant qu’elle était dansée. Filmer ce ballet m’a donc aussi appris à véritablement raconter une histoire.


Objectif Cinéma : Pourquoi était-ce important pour vous de filmer Dracula en noir et blanc, avec quelques touches de couleur…?

Guy Maddin : Le roman de Bram Stoker n’a pas beaucoup de couleurs à l’origine. Il y a du rouge bien sûr, de l’or aussi puisque Dracula vole de l’argent. Le roman de Stoker parle aussi de propagande et de la jalousie des hommes à propos des femmes et de leurs fantasmes sur des hommes inconnus. Les hommes ont peur que ces hommes dont elles rêvent soient parfaits. On est un peu tous comme ça : quand on est jaloux, on donne un pouvoir disproportionné à la personne fantasmée. Parfois dans la vie, on réagit très violemment, et dans le roman, les hommes racontent beaucoup de mensonges à propos des femmes et des hommes, c’est une forme de propagande. Et la propagande, c’est du noir et blanc, c’est le contraste entre le bien et le mal. La vérité ne s’y loge pas, ce sont juste deux extrémités.  Le producteur voulait faire le film en HD couleur, mais je n’ai pas cédé, je préférais le faire en noir et blanc.


  Dracula (c) D.R.
Objectif Cinéma : Je crois savoir que vous n’aimez pas les précédentes versions cinématographiques de Dracula. Pourquoi ?

Guy Maddin : Le mythe de Dracula m’ennuyait quand j’étais enfant, mais c’était parce que je n’avais pas encore traversé cette partie de ma vie où je suis devenu très jaloux. C’est véritablement une histoire pour adultes, je comprends pourquoi ce roman est toujours aussi fort aujourd’hui. La plupart des adaptations antérieures ne mettent en avant que les morsures, les effets sanguinolents, mais pas le thème de la jalousie. Ils ne parlent ni de propagande ni de jalousie, mais c’était véritablement ces thèmes qui m’importaient le plus dans l’adaptation.


Objectif Cinéma : Le thème de la jalousie est très présent dans vos films. Pourquoi cette obsession ?

Guy Maddin : Effectivement, il est étrange pour moi de retrouver ce thème dans ce film que je ne voulais pas faire au début. La jalousie fut une émotion très traumatisante pour moi en tant que jeune homme et c’était assez passionnant d’essayer de la retranscrire au cinéma. J’ai commencé ma carrière de cinéaste comme « Surréaliste » et il est bien connu que les Surréalistes sont marqués par l’Amour fou… Cette jalousie, cet amour passionné révèlent beaucoup d’êtres. Sans être politique à l’origine, ce thème révèle aussi des allégories politiques sans le vouloir. Pour ma part, je crois toujours que je suis une personne jalouse, sous médicaments (rires).