Entretien
réalisé
en décembre 2003
Par Romain LE VERN
Scénariste slalomant entre les piquets sociaux (Ressources
Humaines, de Laurent Cantet) et les remontées fantastiques
(Harry, un ami qui vous veut dubien, de Laurent
Cantet), Gilles Marchand passe pour la première fois au long-métrage
avec Qui a tué Bambi ?, un merveilleux conte de Noël
doublé d’une histoire d’amour intemporelle, cruelle et malsaine
qui impressionne durablement l’esprit. Réservé mais convaincant,
Gilles Marchand nous parle avec passion de son très beau cauchemar.
Objectif Cinéma :
Il existe dans votre film une connexion permanente entre le
réel et l’imaginaire. En quoi le cinéma d’un David Lynch par
exemple vous inspire-t-il ?
Gilles Marchand :
J’ai été littéralement irradié par Eraserhead que j’ai
vu à sa sortie en 1981. C’était le seul qu’il avait fait à ce
moment-là. Par la suite, j’ai vu tous ces autres films. Pour
moi, c’est un immense cinéaste, l’artiste vivant le plus important
à mes yeux. Du coup, il m’a sûrement beaucoup influencé dans
mon travail, mais j’espère ne pas trop être le gentil élève
qui veut imiter le grand maître. Disons que la thématique qu’il
explore me passionne : les ombres de l’âme humaine, le versant
obscur de l’être...
Objectif Cinéma :
Qu’est-ce qui vous intéresse
dans le thème de l’onirisme ?
Gilles Marchand :
On passe un tiers de sa vie à dormir et dans les huit heures
qu’on passe à dormir, on passe une heure, une heure et demie
à rêver en plusieurs fois un quart d’heure. C’est une part
énorme de la vie qui, selon moi, a autant d’existence que
plein de choses censées être réelles. Ces différents niveaux
de réalité me paraissent une expérience fascinante. Le cinéma
me paraît ancré dans l’onirisme. Ce qui est passionnant dans
le cinéma, c’est qu’on filme des choses réelles, on capte
de la réalité et en même temps on est dans l’onirisme. Mais
je suis sûr que presque physiologiquement, il y a quelque
chose qui doit se raccorder à ça dans les rêves. Après tout,
on ne sait pas pourquoi on rêve. On a cru, il y a 50 ans,
qu’on découvrirait pourquoi l’homme rêve, parce qu’on a découvert
l’existence du sommeil paradoxal. Je suis sûr que si on le
découvre un jour, on s’apercevra qu’il y a un lien plus physiologique
avec le cinéma, l’idée de capter du réel et de le transformer,
d’en faire quelque chose qui soit plus lié au rêve.