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Objectif Cinéma :
Parfois, la mélancolie, liée
au burlesque, peut préserver l’innocence…
Pierre Richard :
C’est possible. Mais la mélancolie est complètement liée
au burlesque. En tournant récemment un film de Damien Odoul,
j’ai vécu une expérience qui pourrait ressembler (en plus
fort d’ailleurs) à celle que j’avais vécu avec Jacques Rozier
(dans Les naufragés de l’île de la tortue, ndr).
J’ai tourné dans un château pendant un mois sans en sortir,
si ce n’est pour aller acheter en vitesse un paquet de cigarettes.
J’étais à la disposition du réalisateur 24 heures sur 24 :
s’il voulait tourner à minuit, il tournait à minuit. Il
y avait très peu d’argent, six techniciens et six comédiens
enfermés dans un château. C’est peut-être le seul vrai rôle
tragique que j’ai tourné. Mon personnage sait qu’il va mourir,
il vit ses dernières semaines. C’est le contraire de l’insouciance
avec laquelle je tourne d’habitude, j’essayais de penser
à l’état d’esprit que j’aurais le jour où je vais mourir,
et l’on se permettait avec Damien, fan de Buster Keaton,
du pur burlesque. Quand on lance un petit caillou sur un
étang d’eau noire lisse et profond, ça produit plus d’ondes
à la surface que si vous lancez un gros pavé dans la mer.
Le film de Damien Odoul, c’est ce lac noir, et le moindre
petit caillou burlesque lancé prenait des proportions extraordinairement
drôles, alors que si j’avais jeté ce petit caillou dans
un film burlesque, personne ne l’aurait vu. Il faut porter
la barre très haut dans le burlesque pour produire un effet,
alors que là, il suffisait d’un rien. De toute façon,
le rire est inexorablement lié au drame. Dans l’un et l’autre,
on trouve un bourreau et une victime. Prenez Keaton, Chaplin,
Langdon…Moins Tati. Lui, c’était le décalage de son personnage
dans nôtre monde.
Objectif Cinéma :
Les grandes figures burlesques sont toujours en avance sur
leur temps…
Pierre Richard :
Le burlesque, c’est l’inadaptation à un carcan, à un cadre
de vie où tout le monde vit de manière formatée. Un jour,
un type trouve une petite ouverture, il s’y engouffre. Il
n’est pas fou, il a raison ! De là naît le burlesque. Je
me suis reconnu dans les films de Chaplin et de Keaton,
je me sentais de leur famille. Mais d’une manière instinctive.
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Objectif Cinéma :
Votre personnage burlesque
s’est beaucoup transformé au fil de votre carrière...
Pierre Richard :
Francis Veber ou Yves Robert ne faisaient pas de films burlesques,
mais des comédies. Mais Yves aimait beaucoup le burlesque,
c’est pour cela qu’il a produit certains de mes films. Je
me souviendrais toujours de ce moment où, sur le tournage
d’Alexandre le bienheureux, nous marchions près d’une voie
ferrée, entre deux plans, et Yves m’a dit : « Pierre,
tu n’as aucune place dans le cinéma français, alors fais
ton propre cinéma. » C’est le plus beau conseil qu’il
m’ait donné. J’ai eu le mérite de l’écouter, mais lui
a eu le mérite de me le dire. Un an et demi plus tard, je
suis allé le voir et lui ais montré mon scénario du Distrait.
Il a tout de suite vu quelque chose qu’il aurait aimé faire,
mais qu’il ne pouvait pas faire, parce que ce n’était pas
son truc.
Veber, c’est une écriture différente, même si parfois, effectivement,
il y a des éléments burlesques dans son cinéma : quand dans
un de ses films, je me fais lacérer mon costume au Négresco,
que je monte dans l’ascenseur devant les clients sidérés
et que je sors mon mouchoir en dentelles, on est dans le
burlesque ! Comme quand mon personnage s’enfonce dans
le sable dans La chèvre !