Entretien
réalisé
le 13 février 2003, à Paris
Par Damien STROKA
Fin de matinée dans un café de Bastille.
Emmanuel Bourdieu est là, au fond de la salle presque déserte.
Penché sur des documents, il discute avec son attachée de
presse. Accueil poli, larges sourires et poignée de main rapide.
Inquiétudes, autour d’un café, sur les sorties concurrentes
(Les rivières pourpres 2, Retour à Cold Mountain…)
avant de rentrer dans le vif du sujet.
Surprise : dès la première question, Bourdieu se révèle
bavard, très bavard même, multipliant les digressions, oubliant
parfois le point de départ mais y revenant presque toujours,
à la faveur d’un bref silence… La voix est étonnamment douce,
presque trop pour la sûreté et l’abondance du propos.
Bavard, donc, mais pas verbeux : l’entretien, long d’une
quarantaine de minutes, se révèlera passionnant, Emmanuel
Bourdieu répondant longuement, précisément, patiemment à chacune
des questions. Un régal. Pêle-mêle, seront évoqués la genèse
du film, les liens existant entre Le bal des célibataires
(1) et Vert Paradis, les personnages, leurs relations…
Face à un film tout en non-dits, la parole est au metteur
en scène.
Et le père, dans tout ça ? Dans cet entretien, il en
sera, à dessein, peu question. Pierre Bourdieu absent, on
pourra s’en étonner ou le déplorer. Mais si Vert Paradis
est un film qui, par sa factualité, fait explicitement référence
à un univers dit « bourdieusien » (le sociologue,
le célibat, le Béarn…), l’essentiel n’est pas là. Que des
éléments biographiques viennent s’insérer dans le travail
d’un cinéaste, quoi de plus normal ? C’est, du reste,
notre lot à tous. Difficile, donc, de lui demander des comptes
sur la question paternelle. Et, a fortiori, de l’attaquer
sur le mode, un brin fielleux, du « fils à papa »...
Objectif Cinéma :
Avant de sortir en salles,
Vert paradis a été diffusé sur Arte, sous le titre
de Cadets de Gascogne, dans un montage différent.
Pourquoi ces deux versions ?
Emmanuel Bourdieu :
C’est un peu l’histoire de la production du film qui a abouti,
je l'espère, sur une démarche artistique. Au départ, nous
avions un projet de scénario de cinéma qui avait suivi successivement
Gilles Marie Tiné, le producteur et Haut et Court, le distributeur.
Manquait à l’appel le CNC. En ce qui concerne les télévisions,
Arte voulait bien nous accueillir, mais dans sa branche
télévision. Entre temps, le film est repassé au CNC, car
nous espérions toujours en faire un film de cinéma.
Tant du côté d’Arte que du CNC, nous nous sommes donc engagé
à produire deux films significativement différents, mais
pas tant au niveau du contenu, puisque nous n’en avions
de toute façon pas les moyens (le tournage a duré cinq semaines
et il nous était impossible de filmer le « rab »
que j’avais dans mon scénario). Il valait mieux travailler
sur la forme et défendre l’idée que deux films qui diffèrent
dans leur manière de raconter l’histoire, sont tout de même
des films différents. Du coup, avec mes deux scénaristes
(Denis Podalydès et Marcia Romano) et ma monteuse Rose-Marie
Lausson, on a réfléchi à une solution pour la version télévisée.
On a décidé d’enlever un personnage, Inès. Pour moi, il
y a une petite déperdition : je perds des séquences
que j’aime bien (notamment celle pendant le bal, qui me
fait beaucoup rire) et je perds un peu de Simon : sans
Inès, il devient une pure victime, une espèce de misère
sentimentale complète. Je perds aussi du côté de Lucas :
avec le personnage d’Inès, il sent que ce qu’il fait n’est
pas aussi bien que ce qu’il pensait.