Objectif Cinéma :
Pouvez-vous nous parler
de Peau d’âne de Jacques Demy ?
Jacques Dugied :Bernard
Evein, son décorateur habituel, n'était pas libre et j’avais
déjà travaillé pour la productrice (Mag Bodard), sur Je
t’aime, je t’aime d’Alain Resnais. Peau d’âne a
nécessité une énorme organisation. C’était principalement
des décors naturels avec d’importants aménagements, Chambord,
Plessis-Bourré, la forêt de Rambouillet.
Le décor comporte beaucoup de sculptures à la façon de l’école
de Fontainebleau - alors qu’on était en plein art abstrait.
J’ai eu quelques mauvaises surprises, il y a des éléments
que j’aurais voulu autrement, ou qui nécessitaient plus de
moyens. Pour les vues du château à différentes saisons, on
a eu recours à la peinture sur verre, en direct (glass painting).
Le trucage marchait très bien, grâce aussi aux soins du chef
opérateur, Guislain Cloquet, avec qui je m’entendais bien.
Demy était exigeant, tout était bien défini et il ne changeait
pas d’avis. Il avait demandé à un artiste peintre, Jim Léon,
d’intervenir sur divers éléments : des vitraux, le livre
en ouverture du film, etc. Demy voulait marier le Modern’style
et le XVIIème, grâce à ce mélange, je pense que le film a
bien vieilli. Il tenait fermement à certains effets, comme
la fée qui passe par le plafond : « Je veux que
ça fasse faux ». Je n’y croyais pas trop, mais ça
correspond très bien au film. Un décorateur doit savoir accepter
d’autres points de vue que le sien.
Objectif Cinéma : Le
cinéma d’Yves Robert s’intéresse aux dialogues, aux acteurs.
Qu’en est-il du décor ?
Jacques Dugied :Yves Robert était très attentif
au décor et je garde un bon souvenir de notre collaboration.
Il étudiait bien les propositions et faisait confiance. Avec
lui, on a fait du studio quand on aurait pu utiliser des décors
naturels. Ce qui était intéressant dans le cas des films sur
les souvenirs d’enfance de Pagnol, c’était d’arriver à enchaîner,
assurer une continuité visuelle tout du long. D’une part,
entre les intérieurs tournés à Arpajon et les extérieurs en
Provence où on a construit le mas des Pagnol comme en 1910,
et d’autre part, entre dans des décors constitués de plusieurs
châteaux souvent distants de centaines de km. On y arrive
par des trucages, des astuces, des raccords dont le spectateur
ne s’aperçoit pas.
Objectif Cinéma :
Dans de nombreux films
des années 60 et 70, les décors ne craignent pas d’afficher
un côté design.
Jacques Dugied :C’est
vrai que pour Adieu l’ami, ou pour les films de Jean
Yanne, on voulait coller à l’époque réelle du tournage. Quand
on voit ces films aujourd’hui, ils nous frappent par le côté
contemporain des décors. Ils sont datés mais reflètent bien
les goûts de ces années très marquées au point de vue du mobilier
et du design. C’était pareil dans les années trente. Le cinéma
était très influencé par l’époque, au niveau stylistique.
Regardez ces décors d’appartements bourgeois art-déco, ces
volumes avec des colonnes, des sofites…
Le décor de cinéma, à mon avis, n’est pas fait pour se faire
remarquer. L’important, c’est son apport à une histoire et
des personnages. Leur façon de vivre, de circuler, l’époque
et les couleurs dans laquelle ils vivent. Cependant, je regrette
que les scénarios permettent rarement plus de fantaisie et
restent dans le domaine du réalisme.
1995 Sortez des rangs, de Jean-Denis Robert
avec Laure Duthilleul, 1990 Triplex, de Georges
Lautner avec Patrick Chesnais, Cécile Pallas 1990 Le Château de ma
mère, de Yves Robert avec J.Ciamaca, P.Caubère 1988 La Maison assassinée,
de Georges Lautner avec P.Bruel, A. Brochet 1987 L'Eté en pente
douce, de G. Krawczyk avec J. Villeret, J.P. Bacri 1975 Il faut vivre dangereusement,
de Claude Makovski avec Annie Girardot 1968 Adieu l'ami, de
Jean Herman avec Alain Delon, Olga Georges-Picot