En présentant La Bataille d’Alger, le festival de Cannes
terminait l’Année de l’Algérie (après avoir présenté l’an
dernier Chroniques des années de braise de Lakhdar
Hamina) paradoxalement par son origine : cela fera cinquante
ans cet automne, le 1er novembre 1954, que se déclencha la
lutte armée du FLN (Front de Libération Nationale) contre
la France colonialiste. Cela fait aussi un peu plus de quarante
années que Pontecorvo avait pour la première fois arpenté
ce jeune pays, à l’image du jeune Eisenstein (à peine 25ans)
qui portait au cinéma cette jeune Russie, prétendument issue
du peuple, de sa chair et de son sang. Et toujours en automne,
temps du vent nouveau…
Emergeant de 8 années (de trop) de guerre qui ne voulait pas
dire son nom, l’Algérie, en 1962 devenue libre et indépendante,
(1 million, 1,5 millions ? de morts sans compter les
disparus…) comptait 424 salles de cinéma pour 15 millions
d’habitants, à savoir trois fois plus de salles que le Maroc
et la Tunisie réunis. Issu du maquis, le tout jeune cinéma
algérien, formé au centre audiovisuel de René Vautier compagnon
de route depuis les années 50, allait continuer sa bataille
sur les écrans durant une décennie, entre mythologie et glorification
nationale. Mais rien sur le début, aucune fiction qui racontait
l’émergence de la rébellion civile contre l’oppression colonialiste,
rien sur la fabrique d’un révolutionnaire prêt à mourir pour
une cause. Il y eut Jacques Charby et son formidable film
Une si jeune paix en 1964, L’Aube des damnés
de Ahmed Rachedi et Vautier au scénario en 1965. Et la
Bataille d’Alger un an plus tard. C’est dire si le film
de Pontecorvo est marqué politiquement, ne serait-ce que par
sa production, si tôt après l’indépendance, mais aussi par
ce qu’elle donnait à voir, en levant les yeux, une fresque
de l’intime et du collectif. Tout algérienne et tout algérien
pouvait revivre, même s’il n’était pas agent du FLN durant
la guerre, quasi à fleur de nerf, le combat du colonisé pour
sa liberté.
Manifeste lyrique non exempt d’ambiguïté, il nous a paru nécessaire
de dialoguer avec le cinéaste. Et surprise, l’homme Gillo
est aussi paterne que son film est embrasé et flamboyant,
nonchalant comme peuvent l’être les latins et comme détaché
du temps de l’histoire. Non sans vigilance.
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« NE DISONS PAS QUE C’EST UN
FILM POLITIQUE, C’EST UN FILM »
Gillo Pontecorvo : Je
ne connais pas le cinéma algérien
Nadia Meflah :
Vous n’avez réellement aucune connaissance
sur le cinéma algérien ?
Gillo Pontecorvo : Oui
c’est cela, je peux simplement vous dire comment on vit là-bas.
Nadia Meflah : Considérez-vous
votre film La Bataille d’Alger comme un film algérien ?
Gillo Pontecorvo : Absolument
pas. C’est un film italo… (le cinéaste marque une hésitation
avant de conclure) italo-algérien, comme d’ailleurs il
est indiqué partout. La société de production est surtout
italienne à plus de 55%.
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