Entretien
réalisé
en septembre 2004
Par Matthieu CHEREAU
À l’occasion de la sortie du nouveau
long-métrage d’Arnaud des Pallières, il nous a paru souhaitable
de faire le point sur l’extraordinaire œuvre accomplie par ce
dernier (de Drancy avenir (1997) à Adieu (2004),
en passant par Disneyland, mon vieux pays natal (2002),
ainsi que sur les enjeux théoriques et pratiques qui la sous-tendent.
Objectif Cinéma :
La musique de Martin Wheeler, dans
Adieu comme dans Disneyland occupe une place
déterminante et sert de contre point à l’image de la même
manière par exemple que la voix-off. Comment travaillez-vous
avec Martin Wheeler, avez-vous des idées en tête sur la
musique avant que celle-ci ne soit composée, donnez-vous
par exemple des indications en évoquant de références musicales
?
Arnaud des Pallières :
C’est le deuxième film que je fais avec Martin Wheeler.
Lorsqu’on rentre dans la période de travail, on communique
par téléphone et par la poste. Il m'envoie des objets, et
je lui fais parvenir des bouts de séquences montées pour
qu’il voie quelle direction je prends. Mais il y a toujours
une première étape en tout cas sur les deux films qu’on
a faits ensemble, Disneyland et Adieu :
on se voit une ou deux journées et l’on visionne l’intégralité
des rushes ensemble. Ce qui n’est pas courant, en tout cas
chez les compositeurs, ce qui prouve aussi que je lui fais
confiance, parce que c’est très intime de montrer comme
ça ses images, y compris ce qui est raté. Cela signifie
aussi qu’il est plongé dans une masse d’images, puisqu’il
y avait 35 heures de rushes. On les regarde ensemble et
on en reparle, bien évidemment il a lu le scénario. La première
fois avec Disneyland, il y a surtout eu un échange,
j’ai écouté le type de musique qu’il faisait, on a surtout
beaucoup parlé de nos goûts, de ce qui nous intéressait.
À l’époque je sortais d’une période où je me passionnais
réellement pour la musique électronique, et au fond dans
ce qui m’intéressait dans la musique électronique, il retrouvait
des choses qui l’intéressaient lui aussi. Il a bien évidemment
dans ce domaine-là une culture plus grande que la mienne
et à la fois plus multiple, il connaît très bien la musique
improvisée. Le domaine dans lequel on a travaillé pour Disneyland,
c’était ce qu’il appelle le glitch, qui est un travail électronique,
musical, à partir de tout ce qui est purement numérique,
y compris les aberrations (NDLR : le glitch définit
à l'origine une petite défaillance dans l'alimentation électrique
d'un circuit électronique. Par extension, il caractérise
un courant de la musique électronique qui fait jouer les
défaillances électroniques et sonores entre elles). Pour
Disneyland, il faisait l’intégralité du son, puisqu’on
avait fait le choix de ne conserver aucun son direct. Il
n’y a aucun son, l’intégralité de l’espace sonore est à
recomposer électroniquement, ce qui donne à l’ensemble du
film un peu la sensation d’un voyage mental. Nous avions
dès le départ convenu qu’il y aurait pour les voix un travail
de distorsion, de temps en temps ma voix devient celle de
Mickey ou celle de Dingo, ou celle d’un vieux capitaine,
etc. 100% de la bande son de Disneyland est une sorte
de vaste geste musical de 45 minutes signé Martin Wheeler
ou travaillé en collaboration avec lui.