Entretien réalisé
en novembre 2003 à Paris
Par Nicolas RICHARD et Matthieu CHEREAU
Après avoir étudié l'histoire de l'Art et obtenu le diplôme
de l'IDHEC, Vincent Dieutre réalise son premier long-métrage,
Rome désolée, en 1995. Depuis, il a réalisé plusieurs
courts-métrages et deux autres longs, primés dans plusieurs
festivals, Leçons de ténèbres et Mon voyage d'hiver.
Passionné par les relations entre art contemporain et cinéma,
il écrit dans la revue La Lettre duCinéma,
anime les projections "Point Ligne Plan" et enseigne
régulièrement l'esthétique filmique (Paris VIII, La Fémis).
Objectif cinéma :La
musique, comme l’indique le titre même du film, occupe une
place déterminante dans votre film, non seulement comme illustration
sonore, mais peut-être plus fondamentalement encore, comme
objet, sujet du film.
Vincent Dieutre :Oui, j’ai fait le choix de mettre de
la musique mais pas pour qu’elle soit redondante avec l’image.
Chez moi, il y a vraiment une dialectique, un questionnement
qui est le fondement de mon cinéma de même que j’utilisais
la peinture dans Leçon de ténèbres, comme une espèce
de contrepoint. Là, la musique est très rarement off ou quand
elle est off elle l’est sur des plans fixes, des paysages,
elle ne vient jamais souligner les émotions d’un tel ou d’un
tel. Elle apparaît souvent à l’image lorsque les musiciens
jouent, comme un repère, pour savoir d’où elle vient. Parfois
même c’est assez brusque, on a coupé dans la musique d’une
manière que certains ne supportent pas, on a exploré toutes
les possibilités de frustration de musique. Ca, c’était un
des questionnements du film effectivement : quel est
le rapport du cinéma et de la musique aujourd’hui, à partir
du moment où on fait un film à la première personne. Je pense
que l’utilisation de la musique doit refléter aussi mon vécu
de la musique qui est un vécu de manques, de frustrations,
de choses qui font que quand on écoute un morceau, l’écoute
est souvent interrompue, par exemple par un téléphone qui
sonne. Disons que la position de la musique de film idéale
qui vient se poser en dolby n’est pas la position du musicien
et de la musique comme le romantisme peut nous la donner.
Cette musique est fragile, et c’est cette fragilité qui est
soulignée dans ce film. Il suffit de considérer les instruments
d’époque, le piano forte est un peu aigrelet, les aigus sont
un petit peu incertain parce que il est tout en bois alors
que le piano est aujourd’hui un machine industrielle, c’est
une machine très perfectionnée, avec la caisse de résonance.
Tout ça joue au maximum dans le film, de même que la personnalité
des musiciens, ils sont présents comme êtres physiques. Bref,
je voulais donner une autonomie à la musique au sein du film.