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1895 - Max Ophuls (c) D.R. LIVRE

Revue 1895 - n° 34 / 35
Max Ophuls
Par Gilles LYON-CAEN


Si Max Ophuls est l'un des plus grands cinéastes qui soient, si ses films peuvent inspirer une telle pluralité de lectures, c'est d'abord parce qu'ils mettent en œuvre ce dialogue ininterrompu avec la mort qui est au cœur du cinéma. " Noël Herpe.


  Madame de... (c) D.R.

D'emblée, l'œil analytique s'ouvre en éventail, et tend vers une " pluralité de lectures ". D'emblée surtout, la richesse infinie de l'œuvre est mise en exergue, comme le dépliement d'une exégèse qui porte sur " une figure fascinante et encombrante ", selon l'expression juste de Noël Herpe. Max Ophuls (son œuvre, son statut) fait désordre : 1895 ne le récuse jamais, et s'efforce au contraire de clarifier ce qui parut aux yeux de la critique comme un art impur, dans sa " négation explicite des limites de l'espace-temps ". Une œuvre incomprise que la revue restitue ici, de " plans d'ensemble " en " plans rapprochés ", en 455 pages. Une somme d'articles et travaux pour désherber l'invisibilité née autour de l'œuvre.

Dans le premier plan d'ensemble sur la poétique de Max Ophuls, Barthélémy Amengual apporte un premier indice précisant le malaise général autour de l'œuvre. Ce qui indique déjà la volonté de tabula rasa qui anime secrètement ce numéro de 1895 : " Synthèse, équilibre et entre-deux : cette absence de lieu, le mouvement constant d'un extrême à l'autre, de l'image et de l'imagination, sont également caractéristiques de l'état de flottement esthétique auquel Ophuls s'abandonne et qu'il fera sien à l'écran. " Flottement artistique : incompréhension critique et publique. Ce public au cours de l'année 1954 (le scandale Lola Montés) qui fut, comme la critique, intransigeant. De cette année-là ont fleuri une kyrielle de malentendus qui ont rangé Ophuls l'inclassable en cinéaste baroque.

Lola Montes (c) D.R.

Baroque : un épithète maudit que lui-même récusait, et dont Barthélémy Amengual réinvestit le sens premier, en définissant le baroque " par sa quête du mouvement, plus ou moins exaspérée ; son amour du masque et de l'apparence ". Art du trompe-l'œil et du mirage : il est donc certain qu'Ophuls " chérissait les miroirs, persuadé que la réalité est moins belle que son reflet. " Selon Amengual, le pessimisme profond du cinéaste, en premier lieu, scande sans doute le baroquisme du cinéaste. Une œuvre qui alterne autant " pessimisme averti " (selon l'expression de Claude Beylie) et exubérance désenchanté naît baroque, dans la jonction de deux courants baroques ; le premier étant " inquiétant, angoissant, funèbre " quand le second fut " clair, léger, lumineux, festif ". Réminiscence des visions de ses films : le plaisir gît ici (la quête de Madame de… ne s'épuise-t-elle pas dans son " pessimisme averti " ?) et là (quiétude et gravité des valses dans le même film), dans l'écartèlement des courants, le délitement des formes. Un même plaisir qui se dilate dans la mise à plat analytique. On revient à une infrastructure du Plaisir (du cinéaste, du spectateur), né du " romantisme sobre " (Noël Herpe) d'une Vienne fin de siècle, qui était " un état d'esprit, une forme de sensibilité " (Amengual). Pourquoi " filmer comme on se souvient " ? Simplement parce que sa Vienne heureuse s'éloigne et se meure. La poétique d'Ophuls, si elle souhaite " édifier des obstacles et aussitôt les abolir " (Amengual), ne s'attache qu'à préparer la mort, telle une cathédrale qui ornerait un passé perdu et ressuscité.