Il faut revenir
un instant sur la " négation explicite des
limites de l'espace-temps ". Barthélémy
Amengual s'interroge : " Espace et temps ?
Aucune loi de la nature, mais des représentations souveraines
( ) fugaces comme la lettre d'amour déchirée
dans Madame de et qui, jetée par la fenêtre
du train, se mêle à la neige fraîche et
au blanc de l'écran ; éthérés
comme les nappes de brume d'où émerge le meneur
de jeu au début de La Ronde, avant de tourner
autour du manège de chevaux de bois qui renvoie des
images comme une figure emblématique du dispositif
cinématographique. " Les fameuses valses
de Madame de définissent clairement ce
que peuvent être les " nappes de temps "
chères à Gilles Deleuze : dans sa ronde,
ses coulées, " le présent fait tourner
le passé ".
Deux articles passionnants s'attachent
aux relations entre Max Ophuls et la critique. D'abord,
un détail émouvant émane de cette somme
universitaire : il traduit ce que peut être une
recherche historique du cinéma tout en rappelant
et symbolisant les recherches entreprises depuis longtemps
par la revue 1895. À la fin de son article,
intitulé Lectures du Mélodrame : Max
Ophuls et le film de femmes, Hilary A.Radner ajoute
une bibliographie de vingt-sept noms, fait unique ici, aide
personnelle d'investigation ainsi qu'aide destinée
aux (futurs) chercheurs. Dans son article, l'auteur cite
notamment Susan White, qui rappelle l'origine du malentendu :
" C'est dans la mesure où les films
d'Ophuls ont été particulièrement définis
comme des mélodrames destinés aux femmes qu'ils
ont essuyé un certain mépris de la part de
la critique. " Dans le même sens d'un
féminisme larvé, François Truffaut
définit Ophuls comme " l'avocat de ses
héroïnes, le complice des femmes "
. H.A. Radner évoque également le rôle
politique, la " résistance à l'idéologie
dominante ", attribué au mélodrame
par les critiques.
S'il se pose comme une référence idéale
sur le statut du mélodrame et de la critique, en
drainant au passage les uvres de John Stahl et les
écrits de Stefan Zweig, l'article d'Hilary A.Ridner
sert de transition idéale à l'article d'Alan
Williams, Max et les ferrailleurs, qui traite de
l'évolution entre Max Ophuls et la critique française,
en particulier Les Cahiers du Cinéma. Alan
Williams décrypte en particulier les relations qui
se sont tissées entre les cinéastes de la
Nouvelle Vague et les films d'Ophuls, tels Lola Montès
et Le Plaisir, à travers un réseau de références
cinématographiques. Pourtant, " Truffaut,
Godard et Rivette, pour citer les trois principaux ophulsiens
des Cahiers, n'ont pas été tout de suite sensibles
à ses films. " Mais Max Ophuls a réussi
à courtiser les jeunes critiques des Cahiers
qui, plus tard, vont s'y référer : Tirez
sur le pianiste, de François Truffaut et Lola,
de Jacques Demy, reprennent le thème musical du Plaisir,
que Jean-Luc Godard finira par considérer comme le
" meilleur film français depuis la Libération. "
(Les Cahiers du cinéma, n° 161-162, janvier
1965). Alan Williams rapporte enfin que l'image du suicide
final de l'héroïne, " qui se jette
de très haut ", est devenu une occurrence
classique dans des uvres contemporaines de la Nouvelle
Vague, comme dans Une femme douce, de Robert Bresson
ou La Vie rêvée des anges d'Eric Zonca.
1) Barthélémy Amengual puise, au
passage, dans ce qui sera la clef de voûte
métaphorique de l'uvre proustienne :
" il faut écrire non comme
on se sent mais comme on se souvient "
(aphorisme de Joseph Joubert dans ses Carnets).
2) Susan White, The Cinema of Max Ophuls. Magisterial
Vision and the Figure of Woman, New-York,
Columbia University Press, 1995, p. 306.
3) François Truffaut, Les Films de ma
vie, Flammarion, 1975, p. 256.
4)Où l'on apprend que " Jacques
Rivette fut invité à assister au
tournage de Madame de , et François
Truffaut se vit offrir un travail d'assistant
stagiaire pour Lola Montès "...
Revue 1895 - Max Ophuls sous la direction
deNoël
Herpe avec la collaboration
deLutz
Bacher et Susan White Numéro : 34 / 35 Date : octobre 2001 Nombre de pages : 456 Illustration : 25 illustrations
couleurs et 100 noir ISSN : 0769-0959
.....................................................
Contenu détaillée
Revue 1895 - Max Ophuls
Introduction de Noël Herpe - Ophuls est
un autre
PLANS
D'ENSEMBLE
Barthélemy
Amengual - " Il faut écrire
comme on se souvient " : la poétique
de Max Ophuls Karl Sierek - Double conversion :
Ophuls à Vienne Helmut G. Asper - " De la fosse
du souffleur au micro de l'écran
" : Max Ophuls et le théâtre Pierre-Damien Meneux - Ophuls et
Eugen Schüfftan Philippe Roger - Le voyage immobile Douglas Pye - Des femmes qui tombent,
des narrateurs qui défaillent Hilary A. Radner - Lectures du mélodrame
: Ophuls et le film de femme Alan Williams - Max et les ferrailleurs Noël Herpe - Notes sur Ophuls
et Mizoguchi
PLANS
RAPPROCHES
Ronny
Loewy - Dann schon lieber Lebertran
: tout autour de l'huile de foie de morue Francesca Granata - Christine et
Fritz : du Liebelei de Schnitzler au Liebe
d'Ophuls Jean A. Gili - Max Ophuls en Italie
: La signora di tutti (1934) Christian Viviani - Départs
: la première filmographie française
d'Ophuls Steve Neale - Narration, point de
vue et motifs dans la bande-son de Lettre
d'une inconnue Vincent Amiel - Le Plaisir : l'évanescence
et la forme accomplie Marc Cerisuelo - Les trois Ophuls
: Liebelei, Letter from an Unknown Woman,
Madame de Jean-Pierre Berthomé - "
Un caprice qui ne finirait pas "
: la genèse de Lola Montès Gaylyn Studlar - La construction
de la femme fatale : les multiples scénarios
masochistes de Lola Montès Susan White - Lola Montès
et le cinéma des attractions Valérie Vignaux - " Cet
homme a existé ! Modigliani 1884-1921
"
GENERIQUES
Max
Ophuls - par lui-même Max Ophuls - Lettres aux producteurs
américains Martina Müller - Aux vrais beaux
biens : souvenirs autour d'Ophuls Philippe Roger - Une rencontre avec
Jean Sacha Lutz Bacher - " Ce soir on n'improvise
pas " : conversation avec Lourié Hubert Niogret - Entretien avec Ully
Pickard Ronny Loewy - Filmographie Helmut G. Asper - Théâtrographie
: rôles et mises en scène d'
Ophuls Helmut G. Asper - Ophuls à
la radio Lutz Bacher - Bibliographie sélective