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Trafic 43 (c) D.R. REVUE

Trafic
Numéro 43

Automne 2002
Par Gilles LYON-CAEN


La dernière parution de Trafic, excellente, établit un nouveau travail de considération. On pourrait se suffire à résumer ce numéro de la sorte, à travers les deux ensembles de textes consacrés à deux cinéastes passionnants : l’un, Harun Farocki, plongé dans l’actualité à l’occasion de la rétrospective proposée judicieusement par La Cinémathèque Française ; l’autre, Jerzy Skolimowski, hors actualité, dont l’aura poétique, intellectuelle, ne cesse de prendre de l’ampleur critique ces derniers temps.

  Jerzy Skolimowski (c) D.R.

La force de Trafic, modeste et illimitée : ici, on consacre autant qu’on exhume. Le cinéma free-jazz de Skolimowski (très beau texte, " Entre ciel et terre ", de Jean Durançon) est resté longtemps méconnu avant que la Cinémathèque française, encore, ne lui consacre une rétrospective en décembre 2001. Exhumation totale : ahuri, on découvre, rétrospectivement, un pan inconnu de l’œuvre de Skolimowski, la poésie. Une propension surréaliste (datant de 1973) qui fascine et évoque une partie de l’avant-garde américaine (le cinéma de transe, Maya Deren) jusqu’à préfigurer le mythique Outer Space de Peter Tscherkassky, dans le sublime " Meurtre en douceur " : " Veuillez ne pas régler mon visage. Le défaut est en moi ".

Dans les plus beaux manifestes, officiels ou plus secrets, des Nouvelles Vagues mondiales (des Innocents charmeurs d’Andrej Wadja et Skolimowski au scénario, aux Bonnes femmes de Chabrol), domine un souffle commun. Ce qu’explique aussi le texte richement analytique de Marcos Uzal, intitulé " Une adolescence éternelle ", qui ballade le lecteur dans les villes-panoramas de Rysopis et Walkover : dans ces films, une même secousse langoureuse, divine, se produit et renverse l’idée de théâtralité, de représentation, d’ellipse, portant le direct dans ses limites mêmes. Le cinéma de Skolimowski vante une rythmique double, muette et légère, sourde et funambule (Le Départ), sombre et chromatique (Deep end), tout en renouvelant, dans un élan de liberté, la forme de la ville au cinéma. En moulant et fondant l’espace urbain, en le diluant dans le plan-séquence, de sorte que la nuit incarne un songe, une ville, le songe d’une ville (dans Profondo rosso, Dario Argento ira jusqu’à bloquer la profondeur de la ville en vitrifiant les façades), un non-lieu aussi ludique que labyrinthique. L’homme et la ville se regardent et se parlent, disent le même libre cours, grand inachèvement comme métaphore de l’enfance : " Le monde y est perçu comme un immense chantier où tout est en construction, en suspens. " (p. 84). Et à travers les coutures de la ville (nulle impasse, que des passages), règne de la déambulation, à travers détours nocturnes, longs raccourcis, carrefours déserts (Antonioni, dans L’Éclipse, y concocte un rendez-vous manqué), l’un verse, peu à peu, dans l’autre, comme dans un progressif sommeil, jusqu’à une propension mimétique dans un seul étirement (la rue comme arcane mentale et musicale).

Auge Maschine (c) D.R.

Trois textes, dont un de Farocki lui-même, composent l’ensemble sur le cinéaste allemand. Le plus riche, " Harun Farocki, l’art du possible " de Christa Blümlinger, pose une réflexion sur les installations vidéos de l’auteur, en particulier Auge / Maschine (Œil / Machine, 2001) et I thaught I was seeing convicts, que le Goethe Institut a parallèlement exposé. La projection sur deux écrans se poursuit ici par une analyse théorique de cet " agencement double ", étude du couple que forme l’image analogique et l’image numérique. Éloge et relecture critique du cinéaste : Christa Blümlinger dévoile brillamment dans son texte " l’architecture visuelle de Farocki [qui] déploie une structure complexe où se mêlent le digital et l’analogique, le simultané et le consécutif, le dicible et le visible. " Cet élan revêt les traits aujourd’hui d’une critique qui s’y consacre, presque seule, depuis longtemps et, à cette occasion, publie parallèlement (avec des écrits de Farocki) Reconnaître et poursuivre, aux éditions THTY.