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L'Homme du train (c) D.R. MUSIQUE

L’Homme du train
de Pascal Estève
Par Alexandre TYLSKI


PASCAL ESTEVE - PATRICE LECONTE
Etude d’une co-habitation musicale

Un soir, deux hommes que tout sépare se rencontrent par hasard dans une petite ville du centre de la France. L’un (Milan, Johnny Halliday) prépare en secret le hold-up d’une banque, l’autre (Manesquier, Jean Rochefort), vit pianissimo une retraite confortable. Les choix visuels de Patrice Leconte s’affichent immédiatement : il éclaire le baroudeur Milan dans des tons bleutés, " métalliques ", et Manesquier dans des teintes feutrées, " tabac. "

  L'Homme du train (c) D.R.

Musicalement, Pascal Estève (qui travaille ici pour la troisième fois avec Leconte) évoque aussi à sa manière l’opposition des styles : d’un côté, une guitare sèche aux accents westerniens (Milan a la dégaine d’un cow-boy) et de l’autre, un piano parsemé de notes de Schubert (Manesquier joue un soir l’Impromptu en La bémol de Schubert).

Leconte raconte: " Notre idée était simple : trouver une couleur musicale précise pour chacun des deux personnages, et mélanger ces couleurs, au gré des scènes, même si, a priori, rien ne laissait prévoir quelles puissent se mélanger. Ainsi, la musique de L’homme du train, c’est la rencontre inattendue de Ry Cooder et de Schubert, aussi improbable que la rencontre de Johnny Halliday et Jean Rochefort. " (cf. livret du CD)

L’homme du train est donc a priori le film d’une très nette opposition ; un choc des mondes et un choc de monstres sacrés. Quelques accrocs d’abord, quelques syncopes et dissonances de style. Puis, il fallait s’y attendre, la rencontre des deux hommes se transfigure peu à peu en amitié et deux rythmes de (dé)marche évoluent alors à l’unisson.

L’affiche du film annonce d’ailleurs ce monstre à deux têtes ; tous les deux portent la moustache, cheveux courts, et un regard braqué, perdu, vers une même obscurité. Il ne s’agit donc pas tant dans L’homme du train d’un " face à face " ni d’un " duel ", mais, d’abord, d’un métissage, voire d’un transfert de personnalité.

Pascal Estève (c) D.R.

Si le script semble préférer l’hypothèse d’un transfert de personnalité (Halliday réclame des pantoufles et Rochefort apprend à tirer au revolver), la musique penche davantage vers une idée de brassage stylistique. Il n’y a pas réellement de renversement, mais un vrai mélange, une co-habitation de sonorités, avec ces deux personnages habitant sous le même toit.

Là se joue la vraie subtilité et ambiguïté du faux face à face. Estève nuance la relation en brouillant les pistes. Le compositeur mêle à sa partition elle-même des sons extra-musicaux, le compositeur devenant designer sonore du film (plage 1). N’est-ce pas ce que devrait être aussi un compositeur de cinéma ? Habillant, ou embaumant, les personnages et les lieux.

C’est une manière en tout cas de maîtriser les effets sonores faisant souvent tort à la musique de film aujourd’hui. Ainsi, jaillissent le son d’une horloge et le balancement mécanique d’un train en marche. Ces deux sons métalliques d’un train-train (de la mort ?) en marche se rejoignent et sont peut-être les moteurs, et anges de la mort, des deux protagonistes.

" J’ai construit cette musique sur l’idée du temps et du voyage ", écrit Estève, " avec ce que Milan et Manesquier trimbalent avec eux ; un jardin secret." (cf. livret CD). Une partition camouflant donc à peine un double requiem (plage 5). On voit dans le film Milan disparaître comme un fantôme dans un fondu enchaîné, tout comme Manesquier, stagnant presque " momifié " dans une maison-musée.