Ce coffret 4 CD d’Ennio
Morricone (accompagné d’un livret de 28 pages) risque
d’en surprendre plus d’un(e). Certes, Morricone, 74 ans, a
déjà à son actif pléthore de compilations
et albums en tout genre mais, cette fois-ci, la sélection
est plutôt inédite et audacieuse. On y retrouve
quelques-unes des mélodies-clé de Morricone
ici adaptées par le compositeur au piano, en duo ou
en quatuor (CD 1 et 2). On retrouvera aussi et surtout, les
pièces musicales " savantes ", " difficiles
", de Morricone : ses musiques de chambre (CD 3) et trois
de ses concertos (CD 4). S’ajoute à ces ré-enregistrements
la présence d’Andrea Morricone (le fils du compositeur),
ici en tant que chef d’orchestre des musiques de chambre de
son père, et en tant que compositeur - sur le troisième
CD (Reti ; Iter). Ce coffret peut se prévaloir, qui
plus est, de solistes italiens de grand talent, dont la pianiste
" préférée " de Morricone,
Gilda Buttà, ainsi que le flûtiste, Paolo Zampini,
le violoncelliste, Luca Pincini et l’altiste Fausto Anselmo.
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Le talent de ces solistes
se fait sentir dès les premiers morceaux du CD 1 avec
une version piano-alto très émouvante du thème
principal de Once upon the time in the west - pourtant
symphonique dans le film de Sergio Leone. Il fallait y penser.
Poursuit une version quatuor du thème de Gabriel dans
Mission, remarquablement ré-adapté ici
par Morricone. Réduits à leur plus simple expression
(si l’on peut dire), ces deux morceaux prouvent à quel
point Morricone est aussi un arrangeur et un mélodiste
sans pareil. Ce même Morricone qui vilipendait sans
le nommer John Williams de son hégémonie symphonique,
le musicien italien affirmant que la grandeur d’une mélodie
ne se mesure pas à un emballage symphonique mais à
sa résistance même au solo dénudé.
Le grand public ne s’y trompe d’ailleurs pas et retient généralement
de Morricone des solos inspirés. L’individu.
Pourtant, la richesse de l’œuvre-Morricone est sa capacité
à être, aussi, symphonique quand le besoin s’en
fait sentir - ainsi, dans le troisième morceau du CD,
le ré-enregistrement du fameux thème nostalgique
de Once upon a time in America. S’en suit un morceau
à la flûte (L’héritage), un instrument
authentique qu’affectionne tout particulièrement Morricone.
Celui-ci avoue volontiers être fasciné par l’inexplicable
durée de vie de la flûte, inchangée à
travers les âges et les cultures. Un instrument (à
l’image du compositeur ?) fin, petit, universel, s’élevant
des airs, échappant aux contraintes terrestres. Les
solos de flûte du Sang du châtiment (plage
9), de Moïse (plage 11) et de Vertiges
(plage 12) sont en ce sens parmi les plus mystérieux
de la carrière de Morricone, sans que ce dernier ait
à rougir des plus belles pièces de Claude Debussy.
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Le deuxième disque
se concentre sur des solos de piano et fait apparaître
quelques marques de fabrique de Morricone, en particulier
une figure récurrente chez lui, consistant à
répéter trois notes de manière obsessionnelle.
Un rythme évoquant un galop et marquant une impatience
(comme quand on tape des doigts sur une table) que l’on retrouve
dans Disons, un soir à dîner et
dans Cana Bianco notamment. Si Morricone ne sait pas
très bien jouer au piano lui-même et ne compose
pas au piano (mais directement au crayon sur la partition
et dans la pénombre), le piano est une base essentielle
de son œuvre. Il sert souvent de contrepoint naturel à
la flûte notamment. Le piano chez lui ramène
souvent sa musique vers la terre et ses grondements. Le piano
chez Morricone, s’il est parfois mélodique (Le désert
des Tartares) relève tout autant de la percussion
(on pense par exemple à sa partition de The Untouchables,
1987), ici représenté par le morceau tiré
du film de Rosi, Enquête sur un citoyen au-dessus
de tout soupçon (plage 3).
Cette sélection de thèmes interprétés
au piano rappelleront aux moins connaisseurs la part importante
de films intimistes dans la carrière d’Ennio Morricone
(ses musiques de westerns représentant 1/10ème
de sa filmographie). Ils rappelleront aussi la variété
et la qualité des cinéastes avec lesquels Morricone
a travaillé : Rosi, Comencini, Enrico, Young, Ferreri,
Bertolucci, Argento, Verneuil, Taviani, Girod, Boorman, Malick,
Lautner, Boisset, Molinaro, Giovanni, Fuller, Joffé,
Polanski, Friedkin, De Palma, Tornatore, Zeffirelli, Levinson,
Nichols, Stone. Bertolucci dira de Morricone dans un documentaire
dédié au musicien qu’il a composé sans
le savoir quelques-uns des plus beaux thèmes, susceptibles
de remplacer l’hymne national italien. La beauté et
la sensibilité toute italienne du morceau Il potere
degli angeli peut ici en témoigner.
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