C’est au travers de ces derniers lieux que les metteurs en scène dénoncent les dérives d’une intelligentsia dont le personnage de William Gull-Jack l’Eventreur, médecin de la reine Victoria et franc-maçon habité par des hallucinations futuristes, est le parfait archétype (2). L’inspecteur Fred Abberline réplique à la folie de Jack l’Eventreur par l’absorption d’absinthe afin d’oublier son chagrin. A la faveur des prises de drogue l’esprit d’Abberline est occupé par des cauchemars esthétiquement beaux qui proviennent des planches du roman graphique éponyme. Ces visions oniriques ont pour objet de nous dévoiler les délires hallucinatoires d’Abberline dont l’esprit tourmenté est prêt à céder le pas à ses névroses, jusqu’à la frontière de la folie.

From Hell renvoie à une scène importante des Maîtresses de Dracula  de Terrence Fischer qu’analyse Deleuze dans l’Image-Mouvement. Un vampire en proie à son besoin de sang cherche sa future victime mais, ne la retrouvant pas, se satisfait d’une autre. Toute la mise en scène est construite autour de la notion d’image-pulsion qu’analyse Deleuze. Les meurtres commis contre des prostituées du quartier déshérité de White Chapel sont le produit d’une pulsion sociale intrinsèquement liée au contexte socio-économique de l'Angleterre Victorienne. La reine est dépassée par les agissements de son médecin, dans un Empire Britannique en pleine déliquescence, sur lequel elle n’a plus aucune prise : elle en est réduite à orchestrer l’assassinat de certains de ses sujets. William Gull, le personnage du médecin, est le seul protagoniste qui agisse à sa guise, et arrive à faire coïncider les symboles maçonniques et la réalité de ses actions. Chez les Hugues, comme pour Buñuel dans Susana, " le personnage extérieur est le représentant des pulsions et provoque l’épuisement physique du milieu considéré " (3), William Gull se fait le défenseur des traditions anglaises en livrant une lutte criminelle contre une société en pleine mutation. Abberline, personnage démiurge, en réussissant à découvrir l’identité du tueur n’a pas l’autorisation, dans une cruelle ironie, de l’arrêter. Johnny Depp incarne avec brio un caractère lunaire qui n’est en fait qu’un personnage inutile, à l’écart des décisions prises dans les arcanes du pouvoir. Sa passion amoureuse avec Mary Kelly est une façon d’échapper au deuil qui le mine, il espère ainsi une romance amoureuse qui l’amènerait à renouer avec un bonheur familial perdu, mais il finit par décéder d’une overdose. Les principales protagonistes féminines de From Hell n’ont pour seul horizon que la prostitution qui peut être perçue comme une manière d’assouvir leurs pulsions.

Ainsi, From Hell, avec son ambiance particulière, est un hommage aux films de la Hammer et c’est toute l’histoire du film de terreur que les deux metteurs en scène américains ont synthétisé dans une œuvre naturaliste qui se rapproche des films de Losey.