VIENNOISERIE INDIGESTE
Etrange Cd que voilà. Etrange
pochette surtout. Le petit rectangle de papier glacé
est occupé aux trois quarts par un gros plan du visage
de Maurice Jarre. Rien d'anormal en fait : il aurait été
bien difficile d'illustrer ce best-of des B.O. du compositeur
français par autre chose que sa tête. Mais d'autres
éléments de la mise en page, et notamment le
titre, s'y ajoutent et donnent à l'ensemble un goût
de guimauve très prononcé. "L'émotion
et la force", telle est l’appellation donnée à
cette compilation. Comme en ce qui concerne l'image grand
format de Maurice Jarre, l'utilisation de ce titre un peu
niais n'est pas répréhensible. Les éditions
Milan Music, qui ont mis au point cette compilation, auraient
peut-être pu trouver un meilleur titre, mais est-ce
tout à fait certain ? Il n'est pas vraiment facile
de résumer en deux ou trois mots la carrière
d'un artiste.
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Quoiqu'il en soit, même si sa
présentation n'est pas critiquable en soi, la pochette
laisse tout de même une impression étrange. Lorsqu'elle
se présente pour la première fois devant nos
yeux curieux, elle rappelle en effet les kitchissimes premières
de couverture d'un autre musicien à succès :
André Rieu. Ce violoniste pour personnes en fin de
vie a beau être autrichien, il n'a rien d'un Beethoven.
Ni même d'un Maurice Jarre d'ailleurs. Du moins c'est
ce qu'on serait en droit de penser au vu de la réputation
mondiale qui précède le créateur du célèbre
thème de Docteur Jivago. Avec cette adaptation
du roman de Boris Pasternak, mais aussi avec des films comme
Ghost ou Lawrence d'Arabie, le père de
Jean-Michel est crédité d'un fameux palmarès.
Un grand nombre des films dont il a composé les musiques
sont devenus des classiques du cinéma mondial. À
première vue, la comparaison entre Maurice Jarre et
André Rieu ne semble donc pas tenir la route. Si ce
n'est peut-être dans l'esprit malade d'un critique en
mal de parallèles intéressants.
Pourtant, à l'écoute de "Maurice Jarre, l'émotion
et la force", les différences entre le compositeur
de musiques de films à succès et le pilleur
de classiques ne sont pas très audibles. Le travail
sonore de Maurice Jarre énerve plus les tympans qu'il
ne les choye. Et en cela, il ne se démarque pas vraiment
de son compère André Rieu, l'une des plus grandes
calamités acoustiques de ces dix dernières années.
Pour tout dire, il lui ressemble même plutôt.
Chacun de leurs côtés, avec des moyens certes
inégaux (André Rieu est absolument incapable
de composer un morceau, il se contente de bousiller ceux des
autres), ils développent une musique lisse, sans aspérités,
qui détient la désagréable capacité
d'irriter jusqu'à l'insupportable nos si fragiles trompes
d'Eustache.
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Trop joliment simples, trop gentiment
mélodiques, les compositions de Maurice Jarre éprouvent
les pires difficultés à susciter une véritable
émotion. Ce déficit émotif s'explique
par leur côté extrêmement répétitif.
Entre les vingt-deux morceaux que compte cette compilation,
les variations sont si minces que l'auditeur n'arrive pas
à décerner le passage d'un titre à l'autre.
Parfois aidé par des applaudissements conclusifs ou
des silences intermédiaires, le mélomane amateur
doit la plupart du temps privilégier la technique à
son oreille, l'affichage digital de son lecteur Cd devenant
en effet le seul moyen de discerner les changements de morceaux.
Alain Garel, le producteur de "Maurice Jarre, l'émotion
et la force", ne partage pas du tout ce point de vue.
Pour le concepteur de ce double Cd hommage, c'est au contraire
la diversité thématique contenue dans les musiques
de films de Maurice Jarre qui fait l'importance de son œuvre.
En préface, il insiste ainsi sur les influences multi-ethniques
des musiques de Maurice Jarre. Alors que ce dernier était
élève au Conservatoire de Paris, le directeur
de l'époque Claude Delvincourt avait décidé
d'inclure l'apprentissage des musiques ethniques dans la formation
habituelle de l'école. Selon Alain Garel, Maurice Jarre
s'est beaucoup appuyé sur cet enseignement de jeunesse
pour mettre au point ses musiques de films. "Il a mis en
application sa connaissance de la musique japonaise pour la
partition de Shogun, celle de la musique russe pour
Docteur Jivago, de la country music pour Résurrection,
de la musique indienne pour L'homme qui voulait être
roi, de la musique indonésienne pour L'année
de tous les dangers et de la musique arabe pour Lawrence
d'Arabie ou Le lion du désert", énumère
fastidieusement le producteur de "L'émotion et la
force".
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