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Maurice Jarre (c) D.R. MUSIQUE

L'émotion et la force
Compilation de Maurice Jarre
Par Nicolas JOURNET


VIENNOISERIE INDIGESTE

Etrange Cd que voilà. Etrange pochette surtout. Le petit rectangle de papier glacé est occupé aux trois quarts par un gros plan du visage de Maurice Jarre. Rien d'anormal en fait : il aurait été bien difficile d'illustrer ce best-of des B.O. du compositeur français par autre chose que sa tête. Mais d'autres éléments de la mise en page, et notamment le titre, s'y ajoutent et donnent à l'ensemble un goût de guimauve très prononcé. "L'émotion et la force", telle est l’appellation donnée à cette compilation. Comme en ce qui concerne l'image grand format de Maurice Jarre, l'utilisation de ce titre un peu niais n'est pas répréhensible. Les éditions Milan Music, qui ont mis au point cette compilation, auraient peut-être pu trouver un meilleur titre, mais est-ce tout à fait certain ? Il n'est pas vraiment facile de résumer en deux ou trois mots la carrière d'un artiste.

  Docteur Jivago (c) D.R.

Quoiqu'il en soit, même si sa présentation n'est pas critiquable en soi, la pochette laisse tout de même une impression étrange. Lorsqu'elle se présente pour la première fois devant nos yeux curieux, elle rappelle en effet les kitchissimes premières de couverture d'un autre musicien à succès : André Rieu. Ce violoniste pour personnes en fin de vie a beau être autrichien, il n'a rien d'un Beethoven. Ni même d'un Maurice Jarre d'ailleurs. Du moins c'est ce qu'on serait en droit de penser au vu de la réputation mondiale qui précède le créateur du célèbre thème de Docteur Jivago. Avec cette adaptation du roman de Boris Pasternak, mais aussi avec des films comme Ghost ou Lawrence d'Arabie, le père de Jean-Michel est crédité d'un fameux palmarès. Un grand nombre des films dont il a composé les musiques sont devenus des classiques du cinéma mondial. À première vue, la comparaison entre Maurice Jarre et André Rieu ne semble donc pas tenir la route. Si ce n'est peut-être dans l'esprit malade d'un critique en mal de parallèles intéressants.

Pourtant, à l'écoute de "Maurice Jarre, l'émotion et la force", les différences entre le compositeur de musiques de films à succès et le pilleur de classiques ne sont pas très audibles. Le travail sonore de Maurice Jarre énerve plus les tympans qu'il ne les choye. Et en cela, il ne se démarque pas vraiment de son compère André Rieu, l'une des plus grandes calamités acoustiques de ces dix dernières années. Pour tout dire, il lui ressemble même plutôt. Chacun de leurs côtés, avec des moyens certes inégaux (André Rieu est absolument incapable de composer un morceau, il se contente de bousiller ceux des autres), ils développent une musique lisse, sans aspérités, qui détient la désagréable capacité d'irriter jusqu'à l'insupportable nos si fragiles trompes d'Eustache.

Shogun (c) D.R.

Trop joliment simples, trop gentiment mélodiques, les compositions de Maurice Jarre éprouvent les pires difficultés à susciter une véritable émotion. Ce déficit émotif s'explique par leur côté extrêmement répétitif. Entre les vingt-deux morceaux que compte cette compilation, les variations sont si minces que l'auditeur n'arrive pas à décerner le passage d'un titre à l'autre. Parfois aidé par des applaudissements conclusifs ou des silences intermédiaires, le mélomane amateur doit la plupart du temps privilégier la technique à son oreille, l'affichage digital de son lecteur Cd devenant en effet le seul moyen de discerner les changements de morceaux.

Alain Garel, le producteur de "Maurice Jarre, l'émotion et la force", ne partage pas du tout ce point de vue. Pour le concepteur de ce double Cd hommage, c'est au contraire la diversité thématique contenue dans les musiques de films de Maurice Jarre qui fait l'importance de son œuvre. En préface, il insiste ainsi sur les influences multi-ethniques des musiques de Maurice Jarre. Alors que ce dernier était élève au Conservatoire de Paris, le directeur de l'époque Claude Delvincourt avait décidé d'inclure l'apprentissage des musiques ethniques dans la formation habituelle de l'école. Selon Alain Garel, Maurice Jarre s'est beaucoup appuyé sur cet enseignement de jeunesse pour mettre au point ses musiques de films. "Il a mis en application sa connaissance de la musique japonaise pour la partition de Shogun, celle de la musique russe pour Docteur Jivago, de la country music pour Résurrection, de la musique indienne pour L'homme qui voulait être roi, de la musique indonésienne pour L'année de tous les dangers et de la musique arabe pour Lawrence d'Arabie ou Le lion du désert", énumère fastidieusement le producteur de "L'émotion et la force".