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  Les Sopranos (c) D.R.

Avec le temps comme seule arme, Chase a pu créer un personnage de gangster qui échappe aux stéréotypes monolithiques du type : le teigneux (les rôles tenus par Joe Pesci), le « beauf » parvenu (le Scarface de Stone) ou le Prince noir flamboyant (Pacino encore, mais dans Le Parrain). Tony Soprano, lui, dévoile au moins un aspect de sa complexe personnalité par scène : il est la somme de ses glorieux aînés mais vaut bien plus qu’eux tous réunis. Il est à la fois fils et père, paternel et materné (par sa psy qui « voit l’enfant qui est en lui »), mari et amant, manipulateur et manipulé, raciste et victime du racisme, toujours en bande mais définitivement seul. Tour à tour effrayant (dans ses accès de violence rageuse), pathétique (dans sa dépression) ou réellement émouvant, l’acteur principal, James Gandolfini - comme le reste du casting - réussit le tour de force de toujours rester en équilibre sur la crête qui sépare le versant dramatique du registre purement comique. Mais, ici, le rire n’est pas libérateur, l’humour des scénaristes est parfaitement noir. Le comique ne vient pas contrebalancer une vision trop pessimiste;  au contraire, le grotesque - des corps, des fringues, de l’inculture crasse de tout ce petit monde - renforce le caractère troublant et inquiétant de la série.

Il faut dire que le rapport qu’a Chase avec ses personnages est pour le moins ambivalent. À ce propos, James Gandolfini parle de “self-loathing”, c’est-à-dire, littéralement, de “mépris de soi”. Il explique: « I think he (David Chase) can write it, I can play it, and Tony has it. » La beauté et la vérité des personnages réside dans le rapport problématique et souvent douloureux qu’ils ont avec leur identité communautaire (et ses clichés dont ils sont les prisonniers semi-consentants), c’est-à-dire avec la famille (ou la Famille): l’appartenance à la communauté Italo-américaine les réconforte mais les isole aussi du reste du monde. Comment faire pour qu’elle vous protège sans vous étouffer? C’est la question que chacun se pose, de Janice, la soeur de Tony (partie dans les années 70 en Californie sous le nom (Indien ?!?) de Parvarti puis sagement revenue dans le cocon du New-Jersey), à Meadow, la fille de Tony, qui passe d’un petit ami Afro-Américain et Juif intello (= l’Autre avec un grand A) à une histoire d’amour (finalement sanglante) avec Jackie, son ami d’enfance, quasimment un cousin. Cette question de l’individu dans ou hors de la communauté d’origine (et surtout de ses codes de conduite) se pose sans cesse dans Les Sopranos, et si elle est d’actualité en France, où se produit un phénomène de repli des diverses communautés sur elles-mêmes, elle est rien de moins que subversive dans un pays aussi structurellement communautariste que les Etats-Unis. « You’re born to this shit... You are what you are. », crache le parrain dépressif à sa psy, pas tant pour la persuader elle que pour s’en convaincre lui-même et chasser le doute de son esprit.

Les Sopranos (c) D.R.

Si Les Sopranos fascinent tant, c’est que, à bien des égards, c’est une œuvre vertigineuse. Vertigineuse d’abord à cause des effets de mise en abîme qui ponctuent les différents épisodes (Tony regardant le Scarface de Hawks en DVD, Silvio singeant Pacino dans Le Parrain, ou, plus subtil, Michael Imperioli - Christopher Moltisanti à l’écran - tirant dans le pied d’un jeune pizzaiollo, rejouant ainsi à l’envers la scène des Affranchis dans laquelle Joe Pesci lui tirait dans le pied) et qui nous poussent à imaginer que tous ces personnages sont des personnes qui vivent dans le même monde que nous, maintenant .

Surtout, par un étrange phénomène de contamination, l’angoisse existentielle de Tony se transmet lentement mais sûrement à tous ceux qui l’entourent, de Pussy, personnage littéralement rongé par le remords et le poids de sa trahison, à Davey, le petit commerçant qui s’est endetté auprès des mafieux, en passant par Makazian, l’inspecteur corrompu, et Christopher, le gangster qui se brûle les ailes à Hollywood. Dans une très belle scène, Tony et Christopher, deux grands dépressifs, parlent du suicide comme d’une chose réservée aux losers et font semblant d’en rire pour mieux cacher cette souffrance indigne de vrais hommes.

Si ces caïds du New Jersey nous touchent, c’est qu’ils sont bien plus proches de nous que tous les personnages plats et figés qui peuplent l’essentiel du cinéma américain (même indépendant). Comme Dorothy Vallens dans Blue Velvet, seuls des évènements électrochocs empêchent Tony Soprano de sombrer dans une dépression totale. Dans l’épisode intitulé Isabella (saison 1), alors qu’il semble toucher le fond (avec les Tindersticks comme bande-son!), le parrain retrouve un féroce appétit de vivre en échappant in extremis à une tentative de meurtre... et en tuant l’un des deux tueurs à gage. Comme nous tous, Tony Soprano pourrait dire « vivre me tue » ; mais contrairement à nous, il pourrait ajouter, tout en tirant d’hypnotiques volutes de son cigare et en affichant un sourire carnassier, que tuer le maintient en vie.




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