Bref : la précision, la méticulosité,
le souci du détail parcourent constamment ce livre et de ce
point de vue, l’ouvrage de Brownlow est irréprochable (2).
Le problème, c’est que dans le même temps, et de façon paradoxalement
mécanique, cette profusion plombe littéralement le livre,
le phagocyte même, et le rend singulièrement indigeste. Un
peu comme si Brownlow, plongé dans les faits jusqu’au cou,
s’était révélé incapable de produire autre chose qu’une concaténation
de détails… Résultat : un texte interminable, une rédaction
poussive et une ossature quelque peu hypothétique.
L’écriture, d’abord : simple et dépouillé, le style de
Brownlow est sans fioritures - un type d’écriture qui fonctionne
à l’économie et qui n’est certes pas sans qualités… Reste
que, si le texte est loin d’être “ sur-écrit ” (ce
qui n’est déjà pas si mal), l’enchaînement des phrases et
des paragraphes laisse parfois étrangement à désirer. Un peu
comme si les transitions avaient disparu au montage, chose
bizarre pour un livre sur Lean, lui qui fut “ le meilleur
monteur d’Angleterre ”. Une construction erratique qui
rend la lecture assez chaotique et qui donne l’impression
que le livre manque décidément de “ liant ”. Et
si l’on y ajoute les innombrables coquilles dont Corlet, le
co-éditeur, a généreusement saupoudré l’ouvrage, la lecture
s’apparente parfois à un vrai pensum…
Quant à ce “ liant ” évoqué plus haut, cet improbable
fil directeur, difficile de savoir où Brownlow aurait pu le
trouver. Un soupçon d’analyse en même temps qu’une véritable
“ vision ” sur David Lean auraient pu, peut-être,
contribuer à rendre son livre plus cohérent.
Bien sûr, on ne s’attendait pas à
un ouvrage analytique ou critique sur le réalisateur de Lawrence
d’Arabie : la biographie est avant tout un genre
poussiéreux, fait de particules de vie et à ce compte-là,
Kevin Brownlow s’en tire très bien. Mais à trop coller au
réel, il finit par oublier tout le reste… Incapable de surnager,
il patauge dans les faits et le livre finit par ne plus être
qu’une compilation d’anecdotes, autant dire le degré zéro
de l’écriture biographique. Un peu comme si Brownlow, trop
écrasé ou intimidé par son sujet, s’était, plus ou moins volontairement,
cantonné dans le registre de la citation. A ce jeu du compilateur,
il évoque irrésistiblement Diogène Laërce, ancêtre des historiens
de la philosophie et qui, dans ses Vies et Doctrines des
philosophes, avait formé le projet de compiler les anecdotes,
les faits et les idées des philosophes illustres. Peut-être
Brownlow nourrit-il la même ambition avec le cinéma…
Reste que l’ouvrage manque singulièrement de souffle et que,
passées les 200 premières pages, la masse documentaire s’avère
franchement pénible. Dommage : Brownlow + Lean, ça aurait
vraiment pu avoir de la gueule. On se console - à peine -
en se disant qu’à défaut de la manière, Kevin Brownlow y aura
au moins mis la matière.
1)
On peut ici toucher deux mots du cahier photos :
réalisation soignée, photos nombreuses et variées,
parfois en couleurs : les illustrations tiennent
franchement la route, chose importante pour une
biographie.
2)
Parallèlement à son récit, Brownlow parvient, sans
avoir l’air d’y toucher, à faire une histoire en
creux du cinéma. Chaque fois que les situations
évoquées l’exigent, il n’hésite jamais à s’écarter
du sujet Lean pour quelques digressions explicatives,
par exemple sur la situation du cinéma britannique
pendant la guerre. Le tout avec un certain bonheur.
Titre :
David Lean, une vie de cinéma Auteur : Kevin
Brownlow Traduction française : Catherine Gaston-Mathé Langue : Français Éditeur : Editions Corlet
/ Cinémathèque Française Collection : Cinémathèque Format : Broché - 925
pages